29 avril 2016 - Cinquième Année

Le château semblait reprendre vie en cette fin d’avril. Le soleil était de plus en plus présent, baignant les couloirs d’une chaude lumière qui rendait à l’école son aspect chaleureux, après des mois passés dans la pénombre hivernale dans laquelle Poudlard ressemblait plus à un froid lieu de hantises qu’à une école. Le parc, lui, reprenait de plus en plus de couleurs, les feuillus revêtaient à nouveau leurs manteaux verts et le lac, qui avait enfin dégelé, reflétait la couleur azurée d’un ciel sans nuage.

Ce vendredi après-midi semblait en lui-même être un véritable cadeau offert aux élèves de cinquième année. Le cours de Métamorphose avait été annulé suite à la contraction par le professeur d’une bronchite stranguleuse extrêmement virulente, laissant le champs libre à ses élèves pour profiter du peu de temps qu’il leur restait avant de devoir pleinement se concentrer sur leur avenir : les BUSE approchaient plus rapidement que prévu, si bien que déjà quelques élèves avaient préféré sacrifier leur après-midi de libre pour planifier leurs révisions en vue de ces examens si redoutés.

Logan Bishop ne faisait pas partie de ceux-là. Il était assez confiant en ce qui concerne les examens théoriques, sauf peut-être en Botanique et en Sortilèges ; mais la perspectives des examens pratiques ne lui inspirait pas le même sentiment de sécurité : il craignait de devoir s’occuper d’une créature un peu trop dangereuse pour l’examen pratique de Soins aux Créatures Magiques, et plaignait d’avance la plante dont il devrait s’occuper en Botanique.

Estimant qu’une telle opportunité qu’un ciel dégagé en plein printemps était un signe adressé aux cinquièmes années de décompresser un peu, le Gryffondor avait décidé de profiter du beau temps pour sortir son balai et partir faire un peu de vol sur le terrain de Quidditch. Pour une fois qu’il pouvait voler en dehors des séances d’entraînement - particulièrement éreintantes - il n’allait pas se priver. Arrivé au stade, il vit avec plaisir qu’il n’était pas le seul à avoir pensé à cette idée : il reconnut dans les airs quelques-uns des élèves qu’il avait eu à affronter durant les matchs de Quidditch, accompagnés pour certains d’un ou deux amis qui appréciaient le vol sur balai.

Logan décolla et fit quelques acrobaties aériennes que l’un de ses coéquipiers plus âgés lui avaient apprises, puis proposa à ses camarades de vol de faire quelques jeux. Certains acceptèrent volontiers de participer tandis que d’autres, la mine sombre, décidèrent de rester à l’écart. Logan leur adressa un regard gêné, et se dépêcha de rejoindre ses nouveaux compagnons de jeu.

L’après-midi sembla passer aussi rapidement qu’un dimanche soir, aidé par moult courses, matches de Quidditch improvisés, concours d’acrobaties et autres activités de balai. Ce ne fut que lorsque le soleil commença à se cacher derrière l’horizon que Logan s’arrêta net, les yeux écarquillés, l’estomac serré : il avait oublié qu’il avait des obligations pour ce soir !
“Merde !” lâcha-t-il, avant de se précipiter hors du stade en expliquant qu’il devait partir “mais qu’il faudrait clairement qu’on refasse ça, vraiment !”

Il ne prit la peine d’atterrir qu’une fois arrivé devant les portes du château, qu’il poussa sans ménagement avant de tracer jusqu’à la tour de Gryffondor où, après avoir pris une rapide douche, il troqua son balai contre son sac de cours. Il reprit ensuite sa course jusqu’à la bibliothèque, ignorant au passage les quelques protestations de préfets quant à la vitesse de marche règlementaire dans les couloirs du château, tandis que dans sa tête il pestait contre l’immensité des lieux et la distance entre la salle commune et la bibliothèque.

Arrivé à l’angle du couloir menant à la bibliothèque, il ralentit l’allure, et tourna. L’autre était déjà arrivé, et patientait devant l’entrée. Logan afficha un sourire d’excuse et déclara :
“Salut Williams ! Désolé du retard, j’ai perdu la notion du temps !”

Une fois parvenu à la hauteur du Serpentard, il lui présenta sa main pour qu’il la serre dans un geste de salut formel, et entra dans la bibliothèque. Même si Logan se voulait au dessus de l'animosité millénaire entre les élèves de Gryffondor et ceux de Serpentard, il ne put empêcher ce réflexe qu'il essayait de supprimer depuis quelques mois, qu'est celui de faire le con.

“Alors, prêt pour cet exposé d’histoire ?" dit-il avec un air amusé et un ton sarcastique, avant d’être rappelé à l’ordre par la bibliothécaire parce qu’il faisait trop de bruit. Il leva les yeux au ciel et partit s’installer à l’une des tables piégées entre deux rangées de libre, à côté d’une fenêtre qui laissait entrevoir le paysage montagneux des environs de l’école, baigné petit à petit de la lumière dorée du soleil couchant.

Le Gryffondor sortit son manuel d’Histoire de la Magie ainsi qu’une plume et du parchemin, sur lequel il écrivit le sujet donné par leur professeur.

“La gouvernance magique et les grands conflits depuis la Grande Guerre Moldue”

Logan s’arrêta cinq minutes et se gratta le frond, l’air pensif. Le sujet donné par le professeur d’Histoire de la Magie était assez facile en l’état, mais s’avérait extrêmement vaste. La période que les deux étudiants devraient couvrir dans leur exposé s’étendait depuis le début de la Première Guerre Mondiale jusqu’au dernier conflit important en date, qui était donc le deuxième avènement du Seigneur des Ténèbres. A l’idée de devoir traiter de gouvernance magique ET de conflits ayant fait beaucoup de victimes, Logan sentait déjà son moral diminuer.
“Rhiannon m'a prêté un livre dont elle dit qu'il nous aidera plus que celui au programme. Tout est dedans, apparemment.” affirma Williams en déposant un exemplaire des Grands conflits sorciers du XXème siècle sur la table.

Logan afficha un léger sourire en signe d’assentiment. Le Gryffondor était pourtant assez mal à l’aise. Face au Serpentard, il ne savait pas vraiment sur quel pied danser. Lorsqu’il l’apercevait dans les couloirs, il avait pour habitude de le voir s’emmurer dans un silence froid que peu de résidents de Poudlard semblaient enclins à briser, Bishop compris. Lui qui avait fait longtemps partie d’une bande d’abrutis et qui avait réussi à s’attirer l’antipathie d’une partie assez conséquente des élèves de l’école de sorcellerie, il n’allait pas tenter de prendre contact avec l’une des personnes qui semblaient être les moins à même de l’accueillir à bras ouvert.

La mention de Rhiannon Gray acheva de conforter Logan dans cette idée. S’il y avait bien une personne qui pouvait le détester aussi sûrement que ses anciens amis, c’était la rousse. Aussi, il jugea préférable de ne pas faire une seule remarque sur leur relation qui faisait jaser çà et là quelques médisant du style “Alors, toi et Gray hein !” accompagnée d’un sourire goguenard. Après tout, Williams et lui n’étaient pas amis. Il se résigna donc à répondre à la question que le Serpentard lui avait posée à propos de la forme de l’exposé.
“Eh bien, a priori le prof’ attend de nous qu’on fasse le lien entre la gouvernance magique et les guerres de sorciers. Ça sous-entend de traiter de pas mal de trucs, un plan chronologique me paraîtrait un peu trop bateau et risque de constituer une forme un peu trop lourde.”

Il reprit le parchemin sur lequel il avait fait figurer le sujet de l’exposé, et commença à griffonner dessus, tout en marmonnant quelques explications à l’adresse du Serpentard. Il savait que l’Histoire de la Magie n’était pas vraiment le domaine où Williams se sentait le plus à l’aise, et comptait bien l’aider à comprendre tout ce qu’il faut savoir sur la gouvernance magique et son rôle dans les principaux conflits.
“Bon, du coup ça implique qu’il faudra parler de la Grande Guerre Moldue, où beaucoup de sorciers ont participé à l’effort de guerre, malgré l’interdiction par les principaux Ministères ; de la Guerre Mondiale sorcière face à Grindelwald ; et des deux guerre de...  de Tu-Sais-Qui.”

Il s’interrompit un moment, se maudissant secrètement de reproduire ce réflexe acquis par ses parents de ne pas parvenir à prononcer le nom du Seigneur des Ténèbres. Il leva les yeux vers le Serpentard pour scruter son visage à la recherche d’un détail qui aurait pu trahir les pensées du silencieux. Logan finit par reprendre :
“Du coup je pense qu’on devrait faire un plan thématique en se basant sur l’échelle de gouvernance. Genre, dans une première partie parler des aspects et limites de la gouvernance locale face aux guerres de sorciers, notamment en prenant pour exemple le rôle du Ministère britannique face à la deuxième apogée de Tu-Sais-Qui ; puis une deuxième à propos de la gouvernance internationale, la Confédération Internationale des Mages etc.”

Il s’interrompit une dernière fois. En se renseignant plus sur la dernière guerre ayant fait rage dans le pays, Logan avait peur de découvrir toujours plus de détails sordides, ou de témoignages poignants, qui risquaient de le replonger dans ses propres souvenirs de magie noire. Il s’arma de sa plume et de sa plus grande volonté afin de repousser les sombres pensées qui pointaient à l’horizon et se saisit de son exemplaire de l’Histoire de la magie. La mine assombrie, il parvint au chapitre dédié à Grindelwald. Son regard parcouru la photographie de la forteresse de Nurmengard.

Se replonger dans les heures les plus sombres de l’histoire de la sorcellerie ne serait pas de tout repos, aussi le jeune sorcier se demandait-il en jetant quelques regards furtifs au Serpentard combien de temps il tiendrait sans faire dans l’humour noir pour se détendre. De toute façon, ça serait soit ça, soit la crise de nerf lorsqu’il serait question de discuter de la bataille de Poudlard. Ça allait être une loooongue soirée.

“Eh bien, a priori le prof’ attend de nous qu’on fasse le lien entre la gouvernance magique et les guerres de sorciers. Ça sous-entend de traiter de pas mal de trucs, un plan chronologique me paraîtrait un peu trop bateau et risque de constituer une forme un peu trop lourde.”

Chiant. Cette matière était chiante, chiante, chiante. Il ne comprenait pas pourquoi on ne leur permettait pas plus tôt de laisser tomber certaines matières. Et surtout pourquoi pas plus. Parce qu'entre ça, la divination, le soin aux créatures magiques, ça se posait bien en terme de matières inutiles et chronophages. Et voila qu'ils devaient faire des liens entre le gouvernement ancien de la magie ET les guerres de sorciers. Alors que tout cela s'était déroulé des décennies auparavant et qu'il n'y avait que des personnes désireuse de leur prendre le peu de temps libre qu'ils avaient pour créer ce genre d'exposé. Il eut un sourire en se promettant de donner rapidement son point de vue à Rhiannon.

“Bon, du coup ça implique qu’il faudra parler de la Grande Guerre Moldue, où beaucoup de sorciers ont participé à l’effort de guerre, malgré l’interdiction par les principaux Ministères ; de la Guerre Mondiale sorcière face à Grindelwald ; et des deux guerre de...  de Tu-Sais-Qui.”

Tout ça?

“Du coup je pense qu’on devrait faire un plan thématique en se basant sur l’échelle de gouvernance. Genre, dans une première partie parler des aspects et limites de la gouvernance locale face aux guerres de sorciers, notamment en prenant pour exemple le rôle du Ministère britannique face à la deuxième apogée de Tu-Sais-Qui ; puis une deuxième à propos de la gouvernance internationale, la Confédération Internationale des Mages etc.”

Silence. Aamon nota rapidement ce que Bishop venait de donner pour plan en l'approuvant inconsciemment et releva sa plume. Il indiqua d'une voix douce :

- Je propose un autre plan. Commençons par la guerre de "On s'en tape", poursuivons par le conflit de "Qui en a quelque chose à faire?" et terminons par parler de la bataille de "Comment tu peux aimer l'histoire de la magie Bishop?". Non, mais en vrai.  

Il posa sa plume sur son parchemin, et attendit la réponse.

La lumière du soleil commençait à sérieusement décliner. L’est du ciel commençait à s’assombrir dangereusement et passait d’un bleu roi à un indigo qui fit prendre conscience au Gryffondor de l’heure proche du dîner. Encore une heure et il serait temps de se rendre dans la Grande Salle pour manger en faisant semblant d’apprécier le professeur Smethley comme s’il s’agissait d’une seconde maman et de bien s’entendre avec les élèves de sa propre maison. En fait, en y réfléchissant bien, Aamon Williams était sûrement l'une des seules personnes qu'il côtoyait en cours à ne pas avoir de problème à régler avec lui...

Le regard de Logan quitta la voûte céleste exposée derrière la fenêtre pour observer le Serpentard qu’il venait de quitter les yeux alors qu’il achevait de prendre en notes les idées qu’il lui avait proposées.
“Je propose un autre plan. Commençons par la guerre de "On s'en tape", poursuivons par le conflit de "Qui en a quelque chose à faire?" et terminons par parler de la bataille de "Comment tu peux aimer l'histoire de la magie Bishop?". Non, mais en vrai.” demanda Williams en un ton doux sur lequel semblait un peu déteindre le sarcasme contenu dans ses mots.

Logan laissa échapper un petit rire qui ne manqua pas d’agacer la bibliothécaire. Cette dernière, qui accompagnait deux piles de livres en lévitation en direction d’étagères situées un peu plus loin dans la salle, s’arrêta net en tournant la tête vers le cinquième année pour lui intimer de se taire à l’aide d’un “CHHHUUUUUUUUUUUT.” mi-chuchoté, mi-crié. Logan ne lui adressa pour toute réponse qu’un sourcil levé lui exprimant son indifférence.

Lorsqu’elle s’éloigna, il haussa les sourcils d’un air blasé et répondit à voix basse :
“Je vois l’Histoire de la Magie comme un grand récit. Chaque sorcier illustre du passé, je le vois comme un personnage avec son propre caractère, ses propres compétences, ses propres savoirs, ses propres émotions et ses propres passions… Et, je sais pas, ça me passionne juste de tous les visualiser aussi nettement que toi ou l’autre harpie là, se dire qu’ils avaient leurs raisons pour faire ce qu’ils ont fait, et de les voir aux prises à la fois avec leur vie, les enjeux qu’ils devaient relever, leurs réussites, leurs erreurs… Tu vois ce que j’veux dire ?”

La bouche soudainement asséchée, Logan prit la précaution de regarder si quiconque, surtout la bibliothécaire, était dans les parages, avant de se baisser vers son sac et en sortir l’une des deux flasques qui s’y trouvaient. Il enleva le bouchon et bu trois gorgées de son contenu. Il reposa délicatement le contenant refermé dans son sac, où on pouvait apercevoir une autre flasque similaire, un paquet de cigarettes, quelques fioles sorties de son nécessaire à potions et, surtout, pas mal de restes de snacks qu’il avait prit la peine de sortir des cuisines la veille, en prévisions d’une nuit de révisions planqué dans l’un des cachots.

En croisant le regard de Williams, il précisa :
“C’est pas d’l’alcool hein, c’est juste de l’eau avec un peu de sirop de cerise…”
Ça et une pincée de dards de Billywigs en poudre. Tout juste pour se sentir mieux sans avoir à subir les lévitations intempestives occasionnées par une dose plus conséquente de cet ingrédient. Il s’était ré-entraîné au lancer de Sortilèges d’Allégresse afin de prendre de la distance par rapport à la situation qu’il subissait à Poudlard, sans grand succès comme pour la majorité des enchantements qu’il essayait de pratiquer en solo.

Cela faisait plusieurs mois qu’il avait cessé de traîner avec sa bande de désormais anciens amis, prenant conscience de la perte de temps et d’énergie qu’il avait subie en se laissant entraîner dans leurs absurdes sessions de harcèlement. Depuis, en plus de subir la mauvaise réputation qu’il avait acquise en ayant fait partie intégrante de ce groupe d’idiots pendant plus de quatre ans ; il devait supporter les moqueries et les tentatives de vengeance de ses camarades - très évolués et très matures cela va sans dire - et anciens amis de Gryffondor.

Ça associé à son mal-être général dû à la prise de conscience à propos de tout le mal qu’il a pu faire aux autres élèves de son année et à d’autres plus jeunes avait achevé de rendre Logan légèrement accro aux moyens de s’évader de tout ça. L’eau parfumée agrémentée de dards de Billywig, c’était très doux comparé à ce qu’il avait caché dans sa valise, verrouillée par pas mal de sortilèges.

Subissant peu à peu les effets des dards de Billywig, Logan observa Aamon. Le Serpentard semblait un peu plus ouvert que ce qu’il ne laissait transparaître. Et de toute façon, plus il tournait les pages de son livre, moins il avait envie de faire ce devoir. Pas ce soir en tout cas... Il referma le livre d’un geste sec sur le portrait de Bellatrix Lestrange qui venait de se prendre en pleine figure plus de la moitié de l’ouvrage.

“Bon, clairement, on n’arrivera à rien ici. Perso j’dis : il fait beau, c’est sûrement l’un des seuls ciels sans nuages qu’on ait pu avoir depuis la rentrée, accompagné d’une température agréable en tout cas. C’que j’te propose Williams, c’est qu’on aille plutôt faire ce devoir à l’extérieur tant qu’il nous reste quelques rayons de soleil, histoire de prendre un peu l’air et d’aborder ce sujet dans un cadre moins strict et agaçant - il lança un regard noir à la bibliothécaire qui revenait sur ses pas - que cet endroit. T’en dis quoi ?”

Ce n’était pourtant qu’un prétexte. Il avait beau être arrivé à la bibliothèque en courant, il s’y était rendu à reculon, et regrettait amèrement de ne pas avoir pu plus profiter de son instant de liberté sur le terrain de Quidditch. Impatient de quitter la bibliothèque, dont la maîtresse semblait avoir une dent contre lui, il tapotait le livre qu’il tenait entre les mains en attendant impatiemment la réponse du Serpentard :
“Il paraît que le grand sycomore près du potager est un super endroit pour bosser.” dit-il avec un enthousiasme à moitié retenu.

Ignorant l'interruption de la bibliothécaire, il attendit patiemment la réponse de Bishop.

“Je vois l’Histoire de la Magie comme un grand récit. Chaque sorcier illustre du passé, je le vois comme un personnage avec son propre caractère, ses propres compétences, ses propres savoirs, ses propres émotions et ses propres passions… Et, je sais pas, ça me passionne juste de tous les visualiser aussi nettement que toi ou l’autre harpie là, se dire qu’ils avaient leurs raisons pour faire ce qu’ils ont fait, et de les voir aux prises à la fois avec leur vie, les enjeux qu’ils devaient relever, leurs réussites, leurs erreurs… Tu vois ce que j’veux dire ?”

Beaucopu trop abstrait. Il comprenait le fond de la réponse de Logan, mais sans plus en voir l'intérêt. Il n'appréciait pas l'idée de prêter des intentions, des désirs, des pensées à des personnes qu'il n'avait pas connu, comme pour justifier ce qu'ils avaient pu faire par le passé. Aamon s'apprêtait à répondre, quand son vis-à-vis se pencha, et pris dans son sac une fasque. En métal, elle lui rappelait drôlement celle que son père ne quittait jamais, qui se logeait invariablement dans la poche intérieure de sa veste. Il n'avait jamais su avec quoi elle était remplie, mais il avait pu observer à de nombreuses reprises son père exhiber fièrement le blason des Williams gravé sur son flanc devant ses amis et connaissances. Il doutait que celle de Bishop contienne uniquement du jus de citrouille, mais cela ne le regardait pas.

“C’est pas d’l’alcool hein, c’est juste de l’eau avec un peu de sirop de cerise…”

- Si tu le dis.

Il se tourna de nouveau vers la page qu'il avait ouverte de longues minutes auparavant et tenta de comprendre la phrase qu'il avait lue une dizaine de fois sans parvenir à en saisir le sens. Il trouvait le sujet inintéressant, malgré l'explication de Bishop et n'arrivait pas à le rendre attrayant. Il aurait donné beaucoup pour ne pas être ici, pour tout simplement pouvoir arrêter cette matière stupide.

“Bon, clairement, on n’arrivera à rien ici. Perso j’dis : il fait beau, c’est sûrement l’un des seuls ciels sans nuages qu’on ait pu avoir depuis la rentrée, accompagné d’une température agréable en tout cas. C’que j’te propose Williams, c’est qu’on aille plutôt faire ce devoir à l’extérieur tant qu’il nous reste quelques rayons de soleil, histoire de prendre un peu l’air et d’aborder ce sujet dans un cadre moins strict et agaçant - il lança un regard noir à la bibliothécaire qui revenait sur ses pas - que cet endroit. T’en dis quoi ? Il paraît que le grand sycomore près du potager est un super endroit pour bosser.”

Il referma brusquement son ouvrage.

- Le risque étant qu'on ne fasse absolument rien de plus en profitant du beau temps, tu t'en rends compte Bishop?

Ceci dit, il avait déjà attrapé son sac et le bouquin disparut à l'intérieur avant que sa phrase soit terminée. Il parviendrait peut-être à trouver une excuse pour rendre un devoir bâclé ou incomplet. Comme une chute dans le Lac. Ou une terrible blessure de guerre. Quelque chose.

- Mais oui, on peut tenter ça !

Il jeta sa bandoulière sur son épaule et se leva. La maîtresse des lieux qui s'était approchée en silence posa brusquement sa main sur l'épaule du jeune homme et se mit à hurler :

- SI VOUS VOULEZ DISCUTER, VOUS ALLEZ LE FAIRE DEHORS !!!!

Les deux étudiants la dépassèrent et se coulèrent sans bruit dans le couloir hors de la bibliothèque. Le fond de l'air était doux et de nombreux élèves déambulaient dans les étages en discutant, heureux des beaux jours qui se présentaient. Il se tourna brusquement vers Logan :

- Après, on peut remettre ça à plus tard, ta bande d'amis doit t'attendre pour profiter du beau temps, non?

Le Gryffondor observa son camarade de devoirs ranger ses affaires avec une mine satisfaite, amusé par le fossé qu’il y avait entre les propos raisonnés tenus à haute voix par le Serpentard et la hâte qu’il avait à jeter son sac sur son épaule. Logan l’imita, achevant de débarrasser la surface de la table des traces de leur passage tout en répondant à ses remarques pragmatiques :
“Oh ? Ça ne m’avait pas du tout traversé l’esprit.” dit-il sur un ton faussement innocent trahit par une lueur malicieuse dans son regard.
“SI VOUS VOULEZ DISCUTER, VOUS ALLEZ LE FAIRE DEHORS !!!!” s’exclama furieusement la bibliothécaire qui venait de surgir derrière Williams, arrachant par la même occasion un sursaut au Gryffondor qui se retint de faire remarquer qu’il ne demandait que ça.

Logan suivit son camarade en silence et quitta la bibliothèque après avoir jeté un rapide regard noir à la harpie qui avait rejoint son bureau pour juger d’un air sévère de l’état des livres qu’un deuxième année venait rapporter. Les deux progressèrent à travers les couloirs du château en direction du parc. L’ambiance était à la bonne humeur dans Poudlard : le retour des beaux jours avait redonné le sourire aux résidents du château et la lumière du soleil, bien que sur le déclin, filtrait à travers les fenêtres et baignait d’or armures, tableaux et tapisseries.

Williams se retourna brusquement, forçant Logan à s’arrêter.
“Après, on peut remettre ça à plus tard, ta bande d'amis doit t'attendre pour profiter du beau temps, non ?”

Logan garda son regard fixé sur le visage de Williams, tant pour scruter un quelconque signe de sarcasme que pour éviter de croiser les regards méprisants de quelques visages familiers qui passaient par là. Il fallait croire que Aamon Williams n’était réellement pas au courant de tout ce qu’il s’était passé depuis la fin de l’année dernière. Logan effaça l’expression circonspecte qui trônait sur son visage pour répondre avec un petit sourire :
“Euh… Non, t’inquiètes, personne ne m’attend.”

Il passa devant le Serpentard pour reprendre leur progression vers les escaliers qui menaient jusqu’au hall d’entrée. Il avançait presque machinalement, les pensées perdues dans ses réflexions : quel égoïste il faisait. Non seulement se posait-il en victime, mais en plus il n’avait pas pensé que Williams pouvait lui-même avoir d’autres choses à faire, et qu’il avait avancé l’idée pour pouvoir s’éclipser sans paraître impoli. L’apprenti sorcier ralentit le pas en arrivant au haut de l’escalier de marbre. Que devait-il faire ? Annoncer à Williams qu’il n’était pas obligé de le suivre et qu’il pouvait très bien aller vaquer à une autre occupation que de le côtoyer.

Bishop contempla cette idée avec mélancolie. Enfin il se trouvait en compagnie de quelqu’un qui ne semblait pas lui en vouloir pour quelque chose qu’il avait pu faire lors des années précédentes. Il ne semblait pas vouloir se l’admettre mais Logan se sentait seul. Il se sentait affreusement seul et se retrouver en compagnie de quelqu’un qui restait volontiers en sa compagnie lui faisait un bien fou, même si cela restait plus cordial et professionnel qu’autre chose. Non, il ne laisserait pas d’échappatoire à Williams. C’était sûrement extrêmement égoïste, mais Logan ne pouvait se le permettre.

Ces derniers mois passés tout seul avaient réussi à lui apprendre au moins une chose : la solitude était quelque chose de pesant. Il s’était senti livré à lui-même dans le château, comme si tout, même les morts, l’avait abandonné à ses propres pensées, ses propres remords, sans qu’il ressente la légitimité de faire part de son mal-être à qui que ce soit. Après tout, il avait lui-même fait souffrir pas mal de gens, par parole, par action et par omission, ce n’était que justice qu’il souffre à son tour. Les quelques instants de compagnie calme et inoffensive lui avaient montré à quel point cela lui avait manqué, d’avoir quelqu’un à qui pouvoir parler. Certes il y avait ses deux petits frères, mais ils n’étaient jamais que ses frères, ils étaient obligés de lui parler pour le restant de leurs jours, au grand damne du dernier d’ailleurs.

Aussi, Logan ne dit rien et continua vers la grande porte du château, gardée grand ouvert pour laisser la lumière du soleil illuminer le hall d’entrée et la brise printanière caresser le marbre. Parvenu dehors, Logan mena la tête vers la droite, passant derrière le potager pour rejoindre le sycomore esseulé au sommet d’une élévation légère. Logan progressa vers l’arbre et s’allongea paresseusement sous le feuillage encore en pleine éclosion. Depuis sa position, il pouvait observer les berges du lac, les feuillages verdoyants de la Forêt Interdite, et même le sommet de quelques petits bouts de murailles qui délimitaient l’enceinte du domaine.
“Tu veux manger quelque chose ? J’ai pas mal de snacks dans mon sac.” proposa-t-il à Williams en sortant tour à tour ses deux flasques, des paquets de chips, des saucisses cocktail, du surimi et bien d’autres, si bien que les aller-retours que décrivaient les mains de Logan semblaient ne jamais finir. Il marqua une pause, se tourna vers Williams et justifia :
“Je suis en pleine croissance.” avant de reprendre son office.