La sorcière avait fini de passer son rouge à lèvre lorsque son elfe de maison apparut dans le cadre du miroir. Sans se retourner, Theodora Selwyn lança un bref regard vers le reflet de la petite créature avant de reporter son attention sur le sien.
“
Madame est déjà préparée.” remarqua l’elfe de maison sur un ton désolé en triturant ses longs doigts fins, le nez tourné vers le sol.
“
Je suis trop jeune et pas assez sénile pour nécessiter autant d’assistance, Itsy.” répondit la sorcière en ajustant sa coiffure. Elle se leva et se retourna vers l’elfe qui avait toujours le regard plongé vers le sol. Elle avait l’air misérable et épuisée. “
Par les sept tragédies de Percott ! Itsy tu es une loque !” fit-elle remarquer. “
Qu’as-tu fait de ta nuit bon sang ?”
“
J’ai nettoyé les salles du rez-de-chaussée, la volière et taillé les haies du jardin, puis j’ai entendu que Monsieur Jeremiah n’était pas bien, alors je lui ai administré des soins et nettoyé le carnage que son mal-être avait entraîné, avant d’astiquer l’argenterie et - ”
“
Comment veux-tu bien travailler si tu n’as pas dormi de la nuit ?” interrompit Theodora, mains sur les hanches. “
Va préparer le petit déjeuner et dès que l’une des filles est levée, dis-lui que je t’ai ordonné d’aller te coucher une fois une adulte levée.”
“
Bien, madame.” répondit Itsy en s’inclinant, avant de disparaître.
“
Tu es déjà sur le départ.” observa Marylene lorsque Theodora descendit les escaliers.
“
Je pourrais te répondre la même chose.” rétorqua Theodora avec un petit sourire en coin.
“
Je viens d’avoir une conversation Cheminette avec Obscurus Presse, ils ont besoin de mon avis pour étudier les propositions de nouveautés pour l’année prochaine.” expliqua la jeune sorcière en attachant sa cape autour du cou. “
Et toi tu as l’interview c’est ça ?”
Theodora approuva d’un signe de tête et, parvenue à hauteur de sa fille, déposa un baiser délicat sur sa joue légèrement empourprée.
“
Je dois disparaître dans cinq minutes. Dis bonjour à Alfred pour moi, et n’oublie pas la ligne éditoriale. Et profites-en pour rappeler au conseil de Obscurus Books la nécessité d’une nouvelle édition des Animaux Fantastiques.”
Après quelques dernières recommandations, Theodora s’engouffra hors du manoir. L’automne était déjà installé dans le Lancashire depuis quelques semaines : les arbres aux couleurs écarlates, que le vent froid du matin dépouillait peu à peu de leurs feuilles, se défendaient ardemment contre un ciel blanc dont la couverture nuageuse ressemblait presque à une couche de givre. La sorcière avança d’un pas décidé sur l’allée principale puis, une fois le portail en fer forgé dépassé, disparut soudainement.
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“
Salut les Sorciers !” s’exclama Glenda Chittock dans son microphone. “
Ici Glenda Chittock, votre compagne de petit-déjeuner préférée, prête à animer votre matinée, dès 7h30 sur vos ondes magiques ! Souriez, savourez votre porridge ou vos oeufs brouillés, ce sont les derniers de la semaine avant le week-end ! Malheureusement c’est aussi la fin de la Semaine Spéciale Anniversaire qui fête les 60 ans de la RITM. Et pour marquer l’occasion, je suis accompagnée dans mon petit-déjeuner de celle qui fut longtemps la star de la RITM, que vous tous, auditeurs, avez adoré pour son élégance radiophonique ; sa parole tantôt charmante, tantôt acerbe et sa voix suave, j’ai nommé : Theodora Selwyn !”
“
Eh bien quelle introduction ! Si les auditeurs nous voyaient ils croiraient que je me suis maquillée avec du jus de cerise tant je rougis.” répondit Theodora avec un regard amusé, un sourire relevant la commissure droite de ses lèvres, une cigarette à la main.
“
Il faut le dire, vous êtes un peu un monument de cette radio.” insista Chittock.
“
Well, je ne pensais pas être aussi vieille.” plaisanta Selwyn. La présentatrice s’esclaffa et reprit :
“
Vous avez tout de même créé cette émission ! Sans vous je serais au chômage.”
Theodora eut un rire poli et répondit :
“
C’est vrai que j’ai créé cette émission, mais c’est à vous qu’elle doit sa popularité actuelle. Vous avez su la renouveler avec une telle ambition qu’elle n’a plus grand chose à voir avec ce qui se faisait dans le temps.”
“
Vous me flattez Theodora. Mais trêve de mondanités. J’ai promis à mes auditeurs un entretien sans concessions avec vous, sur votre vie, votre parcours. Vous avez quand même passé plusieurs années dans l’anonymat, et je peux vous dire qu’une bonne partie du courrier des auditeurs demande ce que vous devenez.”
“
Et moi qui pensait que publier ma biographie n’intéresserait personne.” commenta Theodora en portant une tasse de thé à ses lèvres.
“
Alors, Theodora, vous êtes née un 12 septembre, en 19-”
“
Ne le dites pas tout haut voyons !” interrompit Selwyn avec humour.
- Note Hors-RPG:
J'ai préféré alterner l'utilisation du gras pour créer une mise en forme "Interview" afin de faciliter la lecture de ce qui suit.
“
Oh, pardon [rires]. Vous êtes née dans une famille aisée et avez grandi dans les Cornouailles. Racontez-nous un peu comment vous avez vécu vos premières années. Comment occupiez-vous vos journées quand vous étiez enfant ?”
“J’ai eu la chance de naître peu de temps après la chute de Grindelwald, et donc de grandir à une époque où la société sorcière s’était libérée de la peur et de la guerre. C’était une époque d’insouciance, de fêtes. Je me souviens que mes parents donnaient beaucoup de bals et de réceptions, et que le manoir devenait souvent un véritable carnaval. Et c’est devenu encore plus drôle quand ma magie a commencé à se manifester.”
“
Vous vous rappelez de la première fois où vos pouvoirs se sont manifesté ?”
“Oui, bien sûr ! Je pense que c’est ce genre de souvenir que personne n’oublie. Je me souviens, je devais avoir 8 ans, et c’était une journée froide d’hiver. Depuis la matinée j’avais été prise de migraines atroces qui étaient à deux doigts de me clouer au lit. Puis le soir venu je me suis levée, je n’avais pas mangé de la journée et, arrivée dans la salle de réception, ma migraine a empiré d’un coup si bien que j’en ai hurlé. Puis plus rien. Et j’ai rouvert les yeux, et toutes les bougies s’étaient subitement allumées. Notre elfe de maison, qui avait été témoin de la scène, est parti prévenir mes parents et c’est ainsi que j’ai goûté du vin pour la première fois [rires].”
“
[rires] Déjà à l’époque vous appréciez les arts. Qu’est-ce qui a déclenché chez vous cette passion ?”
“Mon père était le directeur du service des briseurs de sorts chez Gringotts, et c’est d’ailleurs comme ça qu’il a rencontré ma mère, qui était une Archéomage. Le manoir était donc plein à craquer de reliques, de sculptures et d’oeuvres d’art magnifiques, et mes parents eux-mêmes étaient des mécènes. J’ai donc baigné dans l’amour de la culture et des arts depuis mon enfance.”
“
Vous avez déjà mentionné une relation assez chaotique avec votre frère Lawrence. Pouvez-vous en dire un peu plus ?”
“Ça a toujours été un peu compliqué. Il était l’héritier, l’aîné, le petit garçon, et il essayait absolument d’attirer l’attention de notre père, d’obtenir son respect et son approbation, ce que je trouvais extrêmement agaçant. Puis c’est parti à vau-l’eau lorsque mon père est décédé.”
“
C’était pendant votre tour du monde, après Poudlard c’est ça ?”
“Tout à fait. Je venais d’avoir mes ASPICs, et je m’étais embarquée pour le traditionnel voyage autour du monde en compagnie de plusieurs amis proches. J’étais à Oulan-Bator quand on m’a prévenu qu’il avait contracté la dragoncelle. Je suis rentrée une semaine plus tard et, deux jours après, il est partit.”
“
Puisqu’on parle de Poudlard, parlons de vos années passées là-bas. D’après les témoignages que j’ai recueilli, vous y aviez une sacrée réputation.”
“[rires] Disons que certains m’appréciaient, d’autres me détestaient. J’avais le défaut d’être honnête et ça ne plaisait pas trop. Mais j’étais Préfète donc personne n’osait vraiment me faire savoir leurs pensées.”
“
Vous avez dit un jour, je crois que c’était en 1992, que la seule raison pour laquelle vous aviez été à Poudlard était votre père.”
“Oui, c’était en réaction aux attaques contre les élèves de l’école. Je disais que déjà à mon époque, et ce depuis que Phineas Nigellus Black, directeur de Poudlard, avait été remplacé à sa mort par Armando Dippet, quelques parents - issus de familles prestigieuses - avaient décidé de retirer leurs enfants de Poudlard, considérant que l’école avait perdu de sa superbe. Mais mon père en pensait autrement : il considérait Poudlard comme une part importante de notre histoire et considérait comme tradition d’envoyer les enfants là-bas. Et surtout, il faisait partie du conseil d’administration de l’école, et avait donc tout intérêt à ce que ses enfants y étudient. Mais j’avoue avoir moi-même hésité à envoyer mes enfants là-bas, et à partir de 1992, j’ai préféré engager un précepteur pour ma fille.”
“
Pourtant vous et votre fille faites partie de ceux que certains appelleraient “sang-pur”, pourquoi avoir retiré votre fille de l’établissement alors qu’elle ne craignait a priori rien du monstre de Serpentard ?”
“Vous savez, je pense qu’aucun parent ne saurait rester calme en apprenant qu’ils ont envoyé leur enfant dans une école où un monstre attaque les élèves. Lorsque j’ai appris que même les fantômes n’étaient plus en sécurité, j’ai profité du retour de ma fille à Noël pour la garder à la maison.”
“
D’après le témoignage de votre cousin Maxwell Donaghue, vous ne comptiez pas du tout travailler dans le domaine de la culture durant vos années Poudlard. Pourquoi avoir changé d’avis ?”
“A l’origine je comptais m’orienter vers la médecine, devenir Guérisseuse. Ma passion pour les livres et les arts me dévorait, mais j’avais continuellement en tête les conseils de mes professeurs, qui me disaient clairement que le domaine des arts était trop encombré, trop instable, et j’ai donc décidé après mes ASPICs de démarrer un apprentissage à Sainte-Mangouste pour devenir Guérisseuse sauf que, comme je le disais, mon père est décédé entre temps ce qui m’a poussé à reprendre le flambeau du mécénat. Puis Adalbert Russell, le directeur de la RITM m’a approchée après le discours que j’avais tenu pour l’inauguration de la Fondation pour la Collection Gringotts, et c’est comme ça que j’ai eu le job.”
“
Vous avez débuté à la RITM en tant que chroniqueuse chargée de la culture dans l’émission “Parlons Incantations”, présentée par Agatha Rhinestone, et votre voix suave a immédiatement charmé les auditeurs.”
“C’est vrai que j’avais déjà une voix assez grave.”
“
Comment ça se fait d’ailleurs ? C’était naturel ou ?”
“Eh bien, je dois avouer que j’avais déjà une voix assez grave, et puis j'ai commencé à fumer durant mes années Poudlard, et je fumais parfois le cigare quand j’allais chez mes grands-parents.”
“
[rires] Si des élèves de Poudlard qui nous écoutent, ne prenez pas exemple et allez en cours !”
“[rires] De toute façon c’est bien connu que je suis une fumeuse très addict. J’ai une cigarette à la main sur presque toutes mes photos, et quand je n’en ai pas, c’est un verre de whisky qui la remplace.”
“
La légende dit que vous aviez été considérée pour devenir égérie de Ogden’s Old Firewhisky. [rires]”
“Je ne sais pas d’où vous la sortez mais elle est très drôle. Et surtout : elle est fausse. Ne croyez pas cette femme [rires].”
“
Toujours est-il que le succès fut au rendez-vous car deux ans après votre premier passage dans “Parlons Incantations”, vous avez obtenu votre propre émission à animer : “Réveillez-Vous Sorciers”. Et le succès fut quasi-immédiat.”
“Les auditeurs s’étaient habitués à ma présence sur les ondes : ça faisait deux ans qu’ils entendaient ma voix tous les matins, et j’avais été en charge de la rubrique “Culture” du Journal de la RITM en 1965. Il y avait beaucoup de gens parmi le courrier des auditeurs qui suggéraient - non, qui exigeaient - que j’obtienne ma propre émission, alors on en a discuté avec Arnolf Gamp, le directeur des programmes. C’était la première émission de radio matinale où on passait de la musique : Célestina Moldubec, les Vélanes Vénéneuses, les Murmurants… Les sorciers étaient habitués à se lever au son des infos, et c’était toujours le cas, mais pas avant d’entendre une chanson entraînante. Et puis après les infos, qui n’était qu’une lecture des gros titres avec un petit commentaire, on retournait à la culture et on parlait de littérature, de découvertes alchimiques et de théâtre. C’était un instant assez rafraîchissant pour les sorciers.”
“
Très juste, d’ailleurs ce sera une habitude dans vos émissions d’avoir un instant musical. “Réveillez-Vous Sorciers” est restée à l’antenne seulement 3 ans, mais a connu un succès phénoménal. Pourquoi selon vous ?”
“Well, c’était une émission qui incarnait la nouveauté, et qui représentait assez bien la période qui correspondait à la fin des années 60. C’était de la musique, des punchlines très drôles entre les chroniqueurs, beaucoup de culture, et tout ça associé dans l’idée d’en faire une émission calibrée pour chaque génération. Puis je suis tombée enceinte, et il a fallu que je me ménage un peu, le temps de m’occuper de mon fils.”
“
Puisqu’on en parle, votre mariage a fait un peu polémique-”
“Oui, on m’a beaucoup demandé pourquoi j’avais accepté de me marier aussi jeune, et puis beaucoup de mes auditeurs ont émis des réserves quant à mes choix d’affiliation, à cause de la réputation de mon futur beau-père.”
“
Je précise, votre beau-père est Pyrame Selwyn, qui fut jugé en 1982 pour corruption, complaisance avec l’ennemi et suspicion de magie noire. Vous étiez déjà mariée depuis quatorze ans à Ezechiel Selwyn, que vous aviez rencontré à Poudlard, lorsqu’il fut enfermé à Azkaban, jusqu'à son décès en 1989.”
“Oui. Si c’est vrai que j’avais toujours trouvé Pyrame assez extrême et réactionnaire - il avait fait partie des émeutiers sang-pur durant les marches des Cracmols - ce n’était de toute façon pas avec lui que je me mariais, mais avec son fils. Déjà à l’école il avait une présence, une passion qui déjà me fascinait, et alors durant notre tour du monde, nous avions beau être une bande d’ami, j’avais l’impression que c’était nous deux d’un côté, et le reste du monde de l’autre. C’était un grand romantique, malgré tout ce qu’on pourra lire sur lui.”
“
Vous par contre, vous étiez plutôt vue comme une figure assez floue sur le plan politique.”
“Je n’ai jamais voulu trop exposer ma pensée politique sur mon lieu de travail. Ma priorité c’était avant tout la culture. Ceci dit vous remarquerez que je m'exprime de plus en plus ces derniers temps.”
“
Nous y reviendrons plus tard. Il est vrai que parmi toutes vos émissions, une grande place était accordée aux arts et à l’histoire. On se souvient du “Tea Time chez Theodora” où vous receviez des experts, des spécialistes et des artistes dans votre propre manoir pour les interviewer ; ou de vos émissions pré-enregistrées “L’Heure Historique” et “Chasseurs de Trésors”, où vous partagiez votre passion avec vos auditeurs. D’ailleurs, “L’Heure Historique” fut une émission enregistrée sur un plateau avec un public.”
“C’est vrai, on avait passé un accord avec la Fondation Gringotts pour enregistrer en face d’un public et pouvoir exhiber les pièces de collection tout en les décrivant. Quant à “Chasseurs de Trésors”, il nous fallait nous déplacer très souvent pour recueillir les témoignages des archéologues, des aventuriers et des explorateurs. C’était un très beau projet, mais il était si fatigant que je suis assez contente qu’il n’ait duré que cinq ans.”
“
Pendant un temps vous avez animé les nuits des auditeurs en présentant deux émissions nocturnes, “Querelles de Sorciers” et “L’Heure des Sortilèges”, qui se sont avérées assez polémiques. Est-ce à cause de ça que vous avez pris un peu de recul par rapport à votre carrière à la radio ?”
“En partie, oui. C’étaient des temps difficiles, nous étions en pleine guerre civile, et ça avait déjà pesé beaucoup sur mon moral. On m’a souvent accusé de donner trop la parole aux polémistes réactionnaires dans “Querelles de Sorciers”, dont l’intérêt était de créer le débat. Finalement, quand Harold Minchum est devenu Ministre en 75, avec la promesse de durcir les politiques concernant les Mages Noirs et l’élitisme généalogique, j’ai su que ce n’était plus qu’une question de temps avant que l’émission ne soit annulée. Quant à “L’Heure des Sortilèges”, elle a été bien mieux reçue, parce que c’était clair que tout le monde jouait un personnage, une caricature d’eux-même.”
“
Il faut croire que le vôtre a beaucoup plu, l’émission a été un succès.”
“Je ne pense pas que mon personnage ait tant joué que ça dans la popularité de l’émission. Je pense surtout que ce qui a attiré les auditeurs c’était surtout le fait qu’on mêle actualité, satire et fiction dans un résultat humoristique qui a assez plu aux sorciers hantés par la guerre, puis par l’après-guerre.”
“
Alors pourquoi n’a-t-elle pas duré plus longtemps ?”
“Vous n’êtes pas sans savoir que la fin de la guerre a été pour moi une période très difficile, et que j’ai préféré quitter certaines émissions pour prendre plus de temps pour moi et ma famille.”
“
Vous parlez du scandale des McKinnon. Comment avez-vous réagi en apprenant l’implication de votre frère ?”
“Lawrence et moi nous étions perdus de vue depuis que ma mère est décédée, au début des années 70. Je ne savais vraiment pas qu’il avait pris un chemin aussi extrême et, quand on m’a appris ses exactions, je me suis effondrée. Je… Je me sentais coupable de ce qu’il avait fait subir aux McKinnon. Quand j’ai demandé à faire des excuses au nom de la famille Pyrites, le directeur de la radio ainsi que le Département de la Justice Magique me l’ont déconseillé.”
“
Pourquoi ça ?”
“Mon patron disait que ça risquait de faire une mauvaise pub. Quant aux Aurors, ils m’ont tout simplement annoncé qu’il n’y avait plus personne à qui présenter des excuses.”
“
...D’accord.”
“Oui, c’est assez morbide. Mais en soit ça m’a fait comprendre que je ne pouvais pas prendre la responsabilité des actes de mon frère ou de mon beau-père. J’ai mes propres opinions, mes propres défauts, qui peuvent ne pas plaire à tout le monde, mais je n’ai pas à m’en excuser.”
“
D’ailleurs, ces derniers temps vous vous êtes montrée particulièrement impénitente en publiant des blâmes contre de nombreuses personnalités publiques, quelle que soit leur orientation politique. Parmi vos victimes, on trouve Pius Thicknesse, Hermione Granger, Fenrir Greyback, Dolores Ombrage, Minerva McGonagall, Severus Rogue, Scabior, Rita Skeeter, Albus Dumbledore… Pourquoi exposer votre opinion maintenant ?”
“Je pense que c’est un symptôme de la période d’après-guerre, où les langues se délient. Je dois avouer que je suis de plus en plus indignée, et j’ai donc décidé de mettre cette indignation au service de l’esprit critique.”
“
Pourtant certains vous accusent de faire état d’opinions conservatrices voire réactionnaires assez déplacées au vu du contexte actuel.”
“Vous savez, depuis que j’ai animé les “Querelles de Sorciers”, on a toujours voulu déformer mes propos pour me cataloguer parmi les suprémacistes sang-purs avide de génocide. C’est vrai qu’on peut me voir comme une conservatrice, mais je refuse qu’on m’associe avec des Mangemorts. Dans mes écrits je défends juste un retour à l’ordre. C’est tout. Et s’il faut pour ça m’opposer à Miss Granger sur la question des Elfes de Maison, soit. Mais ce que je veux, c’est qu’on prenne le temps d’entendre mes arguments avant de me caricaturer.”
“
Eh bien c’est là-dessus que nous allons clore cette entrevue. Merci Theodora.”
“C’est moi qui vous remercie.”
“
Et tout de suite, le quart d’heure musical, qui n’aurait peut-être pas lieu si cette femme majestueuse n’avait pas introduit cette tradition, avec les Bizarr’Sisters !”
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“Jeremiah est toujours au lit ?” demanda Theodora en se débarrassant de son manteau. Elle rentrait enfin d’une journée bien chargée. Une interview, deux réunions, une conférence, et un discours s’étaient adjoints à la journée ordinaire de la sorcière.
“
Oui, madame.” répondit Itsy en emportant la fourrure. “Les enfants sont couchés et vos filles sont de sortie ce soir.”
“
Très juste. Merci Itsy, prépare-moi un petit encas pour quand je retournerais dans ma chambre.”
“
Bien madame.”
La sang-pur gravit les escaliers et ouvrit lentement l’une des portes de l’étage. A l’intérieur, un petit garçon dormait, respirant avec difficulté. Silencieusement, Theodora s’assit au chevet de son petit-fils, et caressa délicatement son front brûlant. A chaque fois qu’elle posait son regard sur l’un de ses petits-enfants, surtout les garçons, elle avait l’impression de revoir leurs pères au même âge. Elle s’emplissait alors de tendresse, mais aussi de chagrin. Si elle parvenait à se contenir d’habitude, parler de la guerre contribuait à fragiliser la muraille qui empêchait sa douleur de transparaître.
Elle avait beau avoir encore de la famille, elle se sentait terriblement seule. Et c’était en partie sa faute. Malgré ce que sa fille pouvait dire, elle avait été une mère pas assez douce, pas assez à l’écoute de ses fils, et c’était pour ça qu’ils étaient eux aussi tombés dans le piège de l’obscurité. Elle n’avait jamais su déceler les signes de la haine, et elle en avait payé le prix, en cette sombre journée du 3 mai 1998, où elle avait dû identifier les corps sans vie de ses fils.
Raphael, le visage paisible, une horrible entaille sur le torse. Et Nathaniel, le teint bleu, les lèvres violettes, les yeux injectés de sang. Si seulement elle avait pu être là, à leur offrir une dernière fois sa chaleur maternelle, sa protection, leur dire que tout irait bien alors que l’un s’étouffait avec son sang et l’autre s’enfonçait dans les profondeurs du Lac, paralysé. Mais elle était là, devant les cadavres de ses fils, ses fils chéris, si brillants, si mignons quand ils étaient enfants. Et elle pleurait, entre les bras de sa fille, qui lui assurait qu’elle avait été la meilleure mère qu’elle et ses frères aient pu avoir, que les vrais coupables c’étaient le Seigneur des Ténèbres, Pyrame Selwyn et Lawrence Pyrites.
Mais elle n’écoutait pas. Elle n’avait plus en tête qu’une seule chose : un souvenir. Celui où, désespérée d’apprendre que ses fils avaient choisi la voie de la facilité et de la haine, elle avait supplié à genoux, presque hystérique, le corps secoué de sanglots, son mari, son amour, son amant :
“
Pitié, Ezechiel, sauve-les. Prends la place de ton père et sauve-les. Je t’en supplie.”
Et ce soir-même, il avait rejoint les rangs de Lord Voldemort. Pas par conviction, mais par amour. Tout irait bien, car il était un excellent Occlumens, et il avait apprit tout ce qu’il fallait savoir de son père. Mais lui aussi manquait désormais à l’appel. Des Aurors étaient à sa recherche, persuadés qu’il avait commis des actes abominables. Il avait été aperçu durant la bataille de Poudlard, aux côtés de ses fils, mais sans plus de détails. D’autres affirmaient qu’il était mort. Et maintenant, Theodora comprenait à quel point elle avait commis une erreur : comment avait-elle pu être assez stupide pour penser qu’il était possible de trahir le Seigneur des Ténèbres ?
Cela faisait désormais deux ans que la bataille avait eu lieu, et il n’y avait toujours aucune trace de survie d’Ezechiel, le romantique. Il lui fallait se faire une raison : son mari était partit, et il était trop tard pour pleurer. C’était à elle de défendre la famille. C’était à elle d’assurer à ses petits un avenir sûr, une vie en sécurité. Aussi, elle déposa un baiser doux sur le front chaud du petit Jeremiah :
“
Je ne les laisserai pas te faire de mal. A toi, ni à personne d’autre de cette famille.”
Et sur ces mots, elle quitta la chambre, bien décidée à reprendre le destin des Selwyn en main.