Lorsque le tintement du carillon de la porte d'entrée offrit sa stridente musicalité aux tympans des personnes présentes à la poste de Pré-au-Lard, notre jeune Cracmol articula un "Bonjour" protocolaire et robotique. Le nouveau venu qui venait de s'engouffrer à l'intérieur laissa une rafale de vent s'immiscer avec lui avant de refermer la grosse porte en bois massif. Le souffle d'Eole souleva sournoisement la paperasse qui s'était accumulée sur le bureau du guichetier tout au long de sa journée. Corvus posa une main lasse d'habitudes mais ferme sur une pile de lettres pour empêcher un désastre. Il reporta son attention vers sa cliente. Madame Altarba, une sorcière triple fois centenaire qui ne savait plus différencier sa droite de sa gauche depuis que les affres de la cataracte l'avait rendue myope comme une taupe. Madame Altarba, affublée d’énormes lunettes grossissantes roulait ses yeux pour essayer de déchiffrer l’écriture en patte de mouche qui ornait un énorme colis qui semblait peser le double de son propre poids.

«  Oui, c’est bien votre petit fils qui vous l’envoie, Madame Altarba. Non, il n'y a pas de frais de port à régler. Votre petit fils s'en est déjà occupé. Non. Madame Altarba, je ne peux pas accepter de pourboire. Vous êtes bien aimable, non, je ne peux pas accepter non plus votre invitation à boire un whisky pur feu après mon service. Madame Altarba… Il y a un client qui s’impatiente derrière vous… »

La vieille Altarba avait beau être myope et complètement fripée par les années, elle n’en gardait pas moins la fougue d’une jeunesse apparement très « active ». Un dernier clin d’œil au travers de ses culs-de-bouteille à l’adresse du jeune guichetier puis on l’entendit claironner un « Wingardium Leviosa » chevrotant vers son colis. S’en allant finalement gaiement en entonnant une chanson paillarde écossaise. Corvus avait un sourire de circonstance quelque peu crispé aux lèvres. Les vieilles lubriques étaient loin d’être sa tasse de thé.

"Je viens récupérer un petit colis au nom de Charly Cook. Merci." Prononça une voix encore fluette.

C’était la voix d’un jeune écolier, habillé de l’uniforme traditionnel de Poudlard. Serdaigle… d’après les couleurs bleu-argent de son écharpe épaisse. Corvus étudia un instant l’apparence du jeune garçon. Un petit garçon né de la dernière pluie, frais comme un bouton de fleur.

« Charly Cook… » Répéta t-il machinalement en parcourant rapidement des yeux la liste sans fin des colis reçus ces derniers jours. « Charly Cook, petit colis ! Oui ! Un instant je vous prie ! » Il s’extirpa promptement de sa chaise pour se diriger dans l’arrière boutique. Charly Cook… Un jeune serdaigle de Poudlard… encore frêle, manipulable ?
Et si… et s’il commençait par lui ?
Pensif et méditant sur la manoeuvre à suivre il secoua la tête vivement pour s’extirper de ses pensées fugaces. Non. Ce n’était pas le moment de s’y mettre. Attendre. Oui, attendre encore un peu. Ne pas se précipiter. Le bon moment se présenterait bien assez vite. Il posa enfin la main sur le paquet recherché qui était coincé entre deux gros colis enrobés de papier kraft. Puis revint à son guichet, songeur.

«  Une signature et vous serez libre de flâner à pré-au-lard jeune homme ! » Il lui tendit une plume d’oie, ainsi que le registre à signer, plongeant ses yeux noirs dans ceux de Charly comme s’il tentait de sonder les tréfonds de son âme. Peut-être devait-il suivre son intuition première ? La fin de son service approchait. Peut-être était-ce cela, le bon moment. Il se risqua à poser une question qui en temps normal ne lui aurait jamais effleuré l’esprit.

« Vous savez déjà dans quelle boutique vous rendre ? Un pirate comme vous ira sûrement chez Honeydukes pour passer à l’abordage, comme nous sommes à l’approche d’Halloween... Vous n'êtes pas accompagné d'amis ?» Dit-il avec chaleur, un sourire qui paraissait sincère aux lèvres. Tout cela aurait pu paraitre banal et anodin. Être aimable avec le client n’était pas une difficulté pour lui, cependant, poser des questions intrusives de ce genre était une véritable première. Il attendit une réponse, le paquet toujours en main sans pour autant le lui tendre tout de suite.

"En quoi ça vous regarde ? Et d'abord je ne suis pas un pirate, Monsieur l'employé."

Monsieur l’employé… La condescendance des jeunes sorciers ne le surprenait guère plus.
Il en voyait des choses depuis qu’il travaillait derrière son guichet. Des choses qui l’encourageaient à ne plus se torturer d’états d’âme et de doutes quant à la mise en oeuvre de ses projets. La rudesse du jeune Serdaigle n’était qu’une motivation supplémentaire. Un sorcier de plus à se croire au dessus de la plèbe.
Oui, ce Charly Cook ne faisait pas exception.
Ils le prenaient de haut ? Enveloppés dans cette supériorité dont ils se pâmaient tous ? Ah, il n’était qu’un employé ? Qu’un pauvre Cracmol insignifiant ?
Ils ne savaient clairement pas qui il était et bientôt… bientôt ce serait à son tour de leur marcher sur la face…
Lorsque le petit sorcier fourra sa main dans la poche de son manteau, l’air inquiet, Corvus haussa un sourcil perplexe. Ce geste… Il n’était pas sérieusement en train de palper sa baguette ? Si ? Ce gamin n’était-il pas un peu parano ? Cette situation en était presque cocasse. Mais l’intuition première du Cracmol était la bonne. Il était la cible parfaite. Jeune, idiot, peureux et méprisant.

« Mh. » fit-il doucement en affichant une expression aimable pour s’empêcher de rire aux éclats. Il tendit finalement le petit colis à son propriétaire, son sourire de circonstance était aussi inébranlable qu’un Troll des montagnes.

«  Bien sûr, bien sûr, voilà votre colis ! Bonne journée et bonnes fêtes ! » Dit-il, avant de porter son attention sur une liste quelconque qui trainait sur son bureau. Halloween approchait à grands pas. Halloween…Cette fête vénielle qui ne l’intéressait que très peu en temps normal. Mais cette année, tout était différent. Il voyait ces frivolités d’un autre oeil.
L’effervescence et l’allégresse dans laquelle ils allaient tous se fourrer le 31 au soir, allait jouer en sa faveur. Cette période de l’année était parfaite pour passer à l’action. C’était lui offrir un terrain de chasse sur un plateau d’argent…
Jetant un coup d'oeil à la grande horloge à rouages qui prenait la moitié du mur en face de son guichet, il constata qu’il ne restait plus que 4 minutes avant sa libération. Plus que 4 minutes à faire la bonniche. Plus que 4 minutes et c’était la fin de son calvaire.
Il pensa à son rendez-vous de 19h. Son premier rendez-vous chez une Psychomage. En avait-il besoin ? Non bien sûr. Il n’était pas malade. Mais cela lui avait été imposé par l’établissement Ste Mangouste après sa dernière crise de nerfs insignifiante. Ils avaient vraiment tendance à s’effrayer d’un rien là bas…

Le jeune garçon se saisit de son colis dans un geste nerveux et maladroit. Un drôle de bruit attira l’attention du guichetier qui s’était jusqu’alors plongé dans ses notes et pensées. Le colis était par terre.
Décidément, ce Charly Cook semblait anormalement agité. Analysant la démarche mal assurée du garçon, il le suivit du regard, interloqué.
Le carillon retentit lorsqu'il se déroba à sa vue par la porte en bois massif par laquelle il était arrivé. Laissant encore une fois le vent s'engouffrer dans la poste de pré-au-lard en soulevant le papier et les cheveux de notre Cracmol qui prenait son mal en patience.
Cette fois, l'oeil rivé sur le cadran de l'horloge qui annonçait bientôt 17h, il ne posa pas sa main sur les enveloppes et autres parchemins pour empêcher ceux ci de valser. Une pile de lettres vacilla dangereusement sous les assauts du vent. Impatient de débaucher, il estima que ce n’était plus son problème. Sabine rangerait tout ça d’un coup de baguette sans la moindre difficulté. Un client venait d'entrer peu après le départ du jeune Serdaigle.

Plus qu'une minute.

« Bonjour ! » Formula t-il avec une certaine précipitation dans la voix.

L'aiguille pointa enfin le douze. Il se leva promptement de sa chaise. Ne laissant pas le temps au client de formuler sa requête. Se mouvant avec aisance, Corvus affichait toujours son expression de circonstance, affable et avenante, bien qu’un poil impatiente.

«  Ma collègue Sabine ne devrait pas tarder, elle s'occupera de vous dans un instant ! »

Aujourd’hui, il était tout simplement hors de question de faire une minute supplémentaire. Attrapant son manteau prestement pour s’en aller, il conclu par un simple « Bonne journée et bonnes fêtes ! » avant de finalement disparaitre de l’établissement à la hâte.

Une fois dans l’allée principale, Corvus chercha du regard le jeune Serdaigle, même si Pré-au-Lard grouillait de monde en cette fin d’après-midi d’octobre, il ne devait pas être allé bien loin…
Honeydukes ? Weasley, Farces pour sorciers facétieux ? Chez Pieddodu ? Avançant aléatoirement en suivant son intuition, il cru enfin apercevoir la silhouette adolescente qu’il recherchait.
Les trois balais ? Il n’aurait pas pu espérer mieux. Si ses yeux ne l’avaient pas trompé, si ce Charly Cook était bien allé se réfugier du froid aux trois balais, c’était donner une raison valable à sa filature. Se rendre aux trois balais pour une bieraubeurre après son service était tout à fait plausible. Bien plus plausible qu’une apparition fortuite chez Honeydukes pour acheter des chocogrenouilles…

Arrivé aux abords du bar, notre jeune Cracmol hésita. Non… entrer aussi rapidement à la suite du garçon pourrait discréditer la coïncidence. Il attendit une poignée de secondes en s’abritant du vent. Un petit groupe bruyant de sorciers s’engouffra bientôt dans l’établissement, puis un jeune couple. Le moment semblait maintenant propice. Il entra.
Des effluves de café, chocolat chaud et d’alcool ravirent ses narines. Il y faisait bon et le tumulte des bavardages emplissait le bar d’une ambiance agréable et vivante.
Corvus lança un coup d’oeil rapide et discret en enlevant son manteau. Charly était assis à une petite table. Il y avait devant lui un grand mug surplombé d’une bonne couche de crème chantilly. Un mince sourire étira les lèvres du Cracmol qui s’avançait déjà vers le comptoir pour interpeler la serveuse.

«  Une Absynthe et un sucre de perle d’estomac s’il vous plait ! » Dit-il avec amabilité avant de s’asseoir à une distance respectable qui lui permettait de garder un oeil sur le jeune garçon sans pour autant être dans le champ de vision direct de ce dernier.
Gourmand... Ajouta t-il à la liste de ses qualificatifs mentaux qui concernaient le serdaigle.