Shae sortit le bout de son nez de la tente, tasse de café chaud en main, et regretta presque immédiatement cette décision. Elle sentit le froid venir lui mordre les joues, le bout du nez et coller des larmes dans ses yeux, mais elle persista, et sortit, confortablement emmitouflée dans au moins trois pulls tricotés, un pantalon solidement enchanté, et une paire de bottines de randonnée en cuir de dragon. Du solide en sommes. En arrivant dans ce pays, la sorcière avait revu ses opinions bien tranchées sur le climat britannique : elle ne le critiquerait plus. Jamais. Elle s'accroupit à quelques pas de là, où ils avaient fait leur feu, et pointa sa baguette dans le silence du matin islandais - où le soleil n'était d'ailleurs toujours pas levé - et alluma un feu sans prononcer le moindre mot. Les journées étaient courtes en janvier, entre onze heures et seize heures seulement l'astre les gratifiait de sa présence. Peu importe ; cela rendait Aristide heureux, lui qui disposait de seize longues heures de nuit pour observer les étoiles comme il le souhaitait. Elle resta accroupie, dans le silence bienvenu, près du feu, le vent glacial ne parvenant pas à s'infiltrer sous les couches épaisses de ses vêtements, et la jeune femme songea soudainement à la précipitation des évènements qui les avaient menés ici, depuis maintenant 4 jours.
Elle n'avait qu'un vague, très vague, souvenir du banquet au Ministère, mis à part qu'il s'était terminé comme un espèce de gros bad trip, et qu'elle avait fini à Ste Mangouste, encore plus déchirée qu'elle ne l'avait jamais été, ce qui n'était pas peu dire dans son cas. Elle avait vu la peur sur le visage de ses parents, et elle avait soudainement pris conscience de sa propre mortalité dans un éclair de conscience terrifiant. Il fallait qu'elle s'échappe de Londres. Sans s'en rappeler, on lui avait aussi annoncé qu'elle avait proclamé haut et fort ses fiançailles à Aristide et l'avait embrassé devant ses grands-parents, les rendant plus heureux que jamais. Quand Maeja avait eut fini de lui raconter tout, Shae Viridian s'était recroquevillée dans son lit d'hôpital, mortifiée, nauséeuse, et avait eu une envie soudaine de fuir. Chanceuse qu'elle était, son désormais fiancé - bien qu'elle ait oublié pourquoi et comment il l'était devenu - avait sauté sur l'occasion dès qu'elle avait évoqué l'idée, lui hurlant que l'Islande était LA destination parfaite, et qu'il avait des recherches à y faire. Tirer sur les ficelles du Ministère pour obtenir un Portoloin vingt-quatre heures plus tard avait été un jeu d'enfants grâce à son père, et c'est ainsi que les deux zigotos avaient dû préparer un voyage dont ils ne connaissaient pas la date de retour à la va-vite, dans le chaos le plus total.
Elle avait dépensé une somme faramineuse en équipement une fois sur place, vidant allègrement ses poches d'héritière, et une énergie toute aussi faramineuse pour enchanter le tout. Leur tente, d'apparence ridiculement petite, contenait désormais une cuisine équipée, un grand salon chaleureux, et de quoi dormir sans se toucher. Elle avait eu la flemme de mettre en place un sort repousse-moldus, déjà parce qu'il n'y avait pas un pécore sur des kilomètres, pas en plein plateau désertique, et qu'enchanter cinq pierres et les disposer autour de leur campement était tout de même drôlement plus pratique pour les garder à l'abri. Sirotant son café, elle leva le nez vers les étoiles, et par habitude, fouilla dans sa poche pour trouver des cigarettes. Vide. Evidemment, leur empressement les avaient dépouillés du luxe confortable de la ville, et elle n'avait plus aucune de ses béquilles habituelles. Ni pilules, ni champifleur, ni pipe, ni tabac. Niet. Elle buvait du café, de la tisane de pissenlit, et communiait avec la nature comme une putain de hippie depuis son arrivée. Et étrangement, au creux de sa poitrine, régnait une sérénité brisée uniquement quand elle pensait à Aristide et qu'ils devaient échanger plus que quelques mots laconiques. Les quatre derniers jours avaient été si silencieux.
Elle avait déjà repéré au moins cinq espèces de plantes magiques extrêmement rares, en avait récolté des spécimens, et trimballait sa serre entière dans une mallette. La seule petite inquiétude qu'il lui restait, c'était de croiser des membres du Peuple. Le Petit Peuple Islandais, ça déconnait pas niveau légendes et malédictions, et elle avait déjà trop bourlingué pour penser que ce ne soit justement QUE des légendes. Le Bureau d'accueil sorcier Islandais les avait d'ailleurs prévenus : ils étaient seuls, et si quoi que ce soit leur arrivait, ce serait dommage, triste, mais fallait pas s'enfoncer dans la nature comme deux péquenauds si on était pas foutus de se défendre. Shae avait opiné du chef. Même pas peur, elle avait survécu à la domination mangemort à Poudlard, elle pouvait survivre à la nature hostile magique.
Continuant de siroter sa tasse déjà tiède tant il faisait froid, elle sortit un lourd carnet de cuir et attrapa une plume, griffonnant des notes et des croquis des plantes qu'elle avait déjà récupéré de mémoire, notant ses moindres pensées et notes. Si elle parvenait à faire prendre les spécimens qu'elle avait récolté, et garantir les conditions parfaites à leur croissance, elle pourrait les revendre extrêmement cher, ou s'en servir pour de nouvelles expérimentations. Sa mère serait également ravie d'avoir une réserve personnelle, songeait-elle en regardant dans le vide. Le crépitement du feu continua de l'accompagner, tandis qu'elle s'immergeait dans le travail, le calme environnant la rendant plus productive et apaisée que jamais. Il fallait néanmoins qu'elle se décide un jour à affronter Aristide. A cette heure-ci, soit il dormait après une veillée tardive - il n'était que huit heures, un exploit pour elle - soit il se levait à peine. Elle se redressa doucement, jetant un coup d'oeil aux alentours, se décidant à partir en expédition dès le levé du soleil pour trouver d'autres plantes, et peut-être même découvrir une toute nouvelle variété, puis entra dans la tente. Les bruits confirmèrent ses suppositions : il se levait à peine. Elle sentit son coeur se mettre à battre désagréablement dans sa poitrine, comme à chaque fois, et maudit sa sensiblerie bien trop humaine pour un esprit aussi brillant que le sien.
Shae fit le plus de bruit possible pour annoncer sa présence, se débarrassant de ses couches supplémentaires dans la tente bien isolée et chauffée, détachant au passage ses cheveux qui repoussaient déjà malgré le nombre de traitements ignobles qu'elle leur avait infligé, le blond tirant sur le roux aux racines et laissant ses extrémités blanches bien tristes, et comme à chaque fois qu'elle devait lui adresser la parole, prit son air revêche.
- Déjà levé ? Incroyable, il faut croire que partir dans le trou le plus glacial de la planète nous aura donné de bonnes habitudes... T'as pas une clope ?
Il courait. Dans les escaliers de Poudlard. Montant, descendant, montant encore, mouillé de transpiration, le souffle court. Il lui fallait absolument rejoindre la tour d’astronomie. Alors même qu’il empruntait le chemin qui l’y menait plus d’un million de fois, la tour était hors d’atteinte. Les escaliers se faisaient un malin plaisir de l’emmener ailleurs. Au bord de la crise de nerfs, il jurait à s’en rompre les cordes vocales. Il y avait Logan. Logan et son ignoble fedora.
« T’es en retard. »
Ignorant le commentaire de ce petit con, Aristide pâle comme un cul poursuivait sa course effrénée. Merlin qu’il était fatigué.
« SHAE ARRETE TES CONNERIES ! ON DOIT SE MARIER ! » Hurla t-il, scrutant les hauteurs, elle était là haut, vêtue d’une veste en cuir cent fois trop grande pour son petit corps tout maigre. Elle l’ignorait, figée devant un telescope qu’elle manipulait horriblement mal.
« Oh bon sang… TU VAS LE CASSER SI TU FAIS ÇA ! LAISSE MOI TE MONTRER ! TOUCHE PLUS À RIEN ! J’ARRIVE ! » Et la course reprenait sans qu’il ne puisse jamais atteindre son but. Il croisait à nouveau Logan, en smoking, un bouquet de fedoras à la main.
« T’es en retard. »
La coupe était pleine. Aristide attrapa mister right on time par la cravate pour le jeter dans le vide mais son colocataire était enraciné dans le sol. Immuable. Il arborait une expression tout à fait neutre.
« Les invités ont déjà vidé le buffet mec. »
Leur buffet de mariage ! Les salauds ! Aristide se retourna, il était à présent dans le grand hall du ministère de la magie. Le buffet effectivement vide était taché de punch. Les invités se comportaient comme des singes, hurlant et marchant sur leurs mains. Callisto se curait le nez tellement fort dans un coin de la salle que du sable blanc coulait de ses narines.
- COWARD de Nordfake ! T’as tout raté connard ! Je pars en lune de miel avec Maeja !
Shae qui avait soudain le visage de sa grand-mère fulminait. Les invités babouins l’entouraient et lançaient des cris stridents comme pour l’encourager dans sa démarche.
Aristide émergea violemment de son sommeil. Il mit quelques secondes avant de comprendre où il se trouvait. Ah oui. L’Islande. Allongé sur le dos, il observait quelques secondes le plafond de leur tente améliorée sans le voir. « Quel rêve de con. » Maugréa t-il en s’asseyant finalement sur le matelas. Chaussant ses charentaises ensorcelées avec la lourdeur de quelqu’un qui restait coincé dans ses songes, il écoutait d’une oreille le vacarme que produisait sa compagne de fortune. Shae et sa délicatesse innée…
- Déjà levé ? Incroyable, il faut croire que partir dans le trou le plus glacial de la planète nous aura donné de bonnes habitudes... T'as pas une clope ?
Une clope… Elle ne lui adressait la parole que pour le taxer depuis leur arrivée en terra incognita. Etait-ce l’acclimatation aux températures négatives qui avait jeté ce froid entre eux ? Même pas une rixe en 4 jours de cohabitation alors qu’ils étaient esseulés. Un exploit. Il se leva en craquant les os de son dos et fouilla dans la poche de sa parka.
« Ouais, je viens de faire un pur cauchemar. T’étais dedans alors forcément… »
Il attrapa un paquet de tabac moldu qui criait famine et des feuilles. Puis saisissant du bout des doigts de quoi rouler deux clopes il se rassit pour se mettre à l’oeuvre. Le silence s’installa à nouveau. Silence paranormal dans le monde Sharistidien. Ce qui s’était passé au ministère avait peut-être calmé la verve de nos protagonistes pour un temps. Au ministère… lorsque la blonde s’était retrouvée à Ste Mangouste après le bordel monstre de cette soirée infernale, Aristide s’était cru mourrir d’angoisse. Tant de choses s’étaient passées ce soir là. Tant de choses qu’ils avaient pris soin d’éluder jusqu’à maintenant. Partir en Islande était comme mettre le temps sur pause. Deux coupables en cavale qui n’avaient pas les couilles d’affronter le chaos de leur situation et qui pourtant ne restaient jamais loin l’un de l’autre. Aristide était bien conscient que faire leurs autistes sur un caillou glacé n’était pas ce qu’il y avait de plus productif sur le plan relationnel. Mais tout lui paraissait irréel, faire trainer les choses lui convenait pour le moment.
Calant une clope mieux roulée que d’ordinaire entre ses lèvres, il s’approcha de Shae pour lui donner de quoi calmer son besoin de nicotine. Une clope plutôt fine mais elle aussi roulée avec soin. Il enfila sa parka, un futal coupe vent directement par dessus sa combinaison pour dormir et sortit affronter le froid. Toujours chaussé de ses pantoufles. Ses cheveux avaient poussés, feu sa coupe mulet avait complètement disparue. Il était passé de redneck has been à chevelu simplement négligé.
Une fois dehors, il s’attarda un moment à contempler le paysage et le ciel qui les entouraient. La beauté dont ils étaient témoins chaque jour le rassérénait tant qu’il arrivait à ne pas taper des crises contre le froid qui lui glaçait les os. Au moins ici il pouvait prendre des couleurs sans souffrir de coups de soleil.. Il s’approcha du feu pour caresser les hautes flammes du bout de sa clope pour l’allumer. Shae le rejoignit bien vite dehors. Il jeta un regard à la blonde avant de s’asseoir sur une pierre. Gelée.
« Quoi de prévu aujourd’hui ? » Lança t-il sur un ton qui se voulait à peu près aimable et intéressé. Il savait la sorcière assoiffée de randonnées depuis l’installation de leur campement. Elle partait la plupart du temps en expedition armée de ses carnets de notes et revenait lorsqu’il était déjà plongé dans l’étude des astres. Peut-être pouvait-il l’accompagner si elle voulait bien de lui. Mais il secoua ses boucles pour rejeter cette fausse bonne idée. S'il la suivait, Merlin en serait témoin, elle l'abandonnerait dans une crevasse pour s'en débarrasser définitivement sans oublier de le dépouiller de son tabac.
Sa dégaine Islandaise lui allait bien au teint, songeait-elle en l'observant du coin de l'oeil. Ses cheveux poussaient dans tout les sens, et elle avait envie de passer ses doigts dedans. Il avait même un sacré début de barbe - le genre pas finie qui vous mange le visage de façon éparse, mais la preuve irréfutable qu'il murissait physiquement, et évoluait définitivement loin de l'adolescent rachitique et insupportable qu'il avait été à Poudlard. Il marmonna une rétorque à propos d'un cauchemar, et elle se rendit soudain compte qu'elle n'en avait plus fait un seul depuis leur départ de Londres. Ici, elle s'endormait et se réveillait sans une seule interruption, à poings fermés. Les terreurs nocturnes, se réveiller en sueur persuadée que quelqu'un allait vous tuer ou vous forcer à tuer quelqu'un d'autre... s'étaient étrangement calmées. Elle refusait d'y songer trop, par peur de les voir revenir, et se contentait donc du silence et du calme environnant.
Elle avait raté le coche pour placer une réplique incisive, aussi resta-t-elle silencieuse, l'observant rouler les cigarettes en sortant son tabac. Et il ne protestait même pas. Leur relation avait vraiment pris un tournant étrange depuis le Ministère. Elle se détourna le temps qu'il termine, lui remplissant une tasse de café et lui tendant sans même y penser, attrapant la cigarette en échange avec un soulagement ténu. La calant entre ses lèvres, elle prit le temps de remettre ses trois-quatre pulls tricotés avec soin, enfilant une écharpe en plus. Shae rejoignit Aristide et l'observa encore silencieuse, songeant à tous les non-dits entre eux. Elle ne pouvait pas décemment et sérieusement évoquer leurs "fiançailles". Ni même qu'elle l'avait - d'après Maeja - attrapé pour l'embrasser devant témoins. Sans même s'en souvenir, elle se sentait embarrassée au point de colorer ses joues.
Elle alluma la cigarette d'un coup de baguette et s'accroupit près du feu, finissant par rassembler ses pensées. Elle ne pouvait pas laisser la situation en suspens comme ça - elle voulait faire machine arrière. Revenir dans le temps et retrouver leur équilibre bruyant, avec des insultes, des fous-rires et des silences confortables. Le silence qui s'étirait depuis le nouvel an n'avait rien de confortable - même si il était bienvenu. Perdue dans ses pensées, elle n'entendit que la fin de la question - notant l'effort pour le ton. Elle répondit mécaniquement, sortant son carnet et lui montrant ses croquis pour illustrer ses explications.
- Je vais explorer des chemins que j'ai repéré hier. La carte fournie par le Bureau des Sorciers était vraiment nulle, donc j'essaie d'en faire une plus précise. J'ai trouvé des spécimens Juncus Magicarum, un ingrédient rare et couteux. Je me demande même si il n'y a pas des variations... Enfin. Ce sont des plantes utilisées en potion qui coutent un bras, si j'arrive à en faire des boutures viables, je pourrais en tirer des bons prix.
Elle fronça les sourcils en levant son carnet à hauteur des flammes pour mieux le déchiffrer.
- Evidemment, je préfère attendre que le jour se lève pour mieux en profiter mais je décollerais d'ici peu.
Relevant les yeux, elle croisa son regard et resta un instant muette, figée. Elle voulait réussir à lui parler, à le faire se marrer, voir l'étincelle de leurs disputes dans son regard, où ils mettaient en joute leurs répliques acerbes. Shae se redressa, terminant sa cigarette.
- Et toi ? De belles découvertes parmi les étoiles ... ?
Tant de mots et de pensées se bousculaient dans sa tête. Elle voulait savoir sa version de l'histoire, ce qu'il avait vu, ce qu'il avait ressenti durant l'épisode nouvel an. Pourquoi avait-il accepté sans broncher de la suivre en Islande, lui qui prétendait ne pas pouvoir la piffrer le reste du temps. Elle hésita un instant et reprit, le coupant dans sa réponse enflammée au sujet des astres.
- On peut parler du Nouvel An au Ministère ?
Elle fixait son regard sur les flammes, refusant de remonter jusque lui, une mine sérieuse bien singulière rendant ses traits plus sérieux.
Elle reniflait la morve provoquée par le froid islandais aussi subtilement qu’un troll. Le regard aussi expressif qu’un veau sédaté. Il l’observa. Sceptique quelques secondes sur ce qui avait bien pu l’attirer ici si ce n’est les étoiles. Ils étaient, par la force des choses, en véritable tête à tête h24. Pas âme qui vive alentours. Cohabiter de la sorte avec la blonde sans développer des envies de meurtre était un véritable exploit. Il saisit la tasse de café, non sans souligner mentalement l’effort de Shae pour le servir, chose qui n’aurait jamais eu lieu à la chaolocation. Tirant sur sa clope à chaque gorgée de café, un rictus coincé au coin des lèvres, il frémit. L’entendre jacasser sur ses découvertes le barbait. Wow, trier les variations de mauvaise herbe avait l’air de l’émoustiller. Il en aurait applaudit mollement si ses mains n’étaient pas, hélas, déjà occupées. Haussant les épaules lorsqu’elle le questionna sans conviction sur ses voyages interstellaires, il regarda les flammes.
« Ouais. »
Répondit-il sans développer, loin d’avoir envie de débattre passion respective avec elle. Il n’avait envie de parler de rien. Peut-être parce que les mots ne suffisaient pas à exprimer ce qui le malmenait depuis quelques temps. D’ailleurs, était-il seulement conscient de ce qui l’agitait ? Il n’arrivait pas à mettre le doigt dessus. C’était juste bizarre. Qu’est-ce qu’ils foutaient là. Se demanda t-il une énième fois.
- On peut parler du Nouvel An au Ministère ?
Un haut le coeur le saisit expressément. Il fixa la blonde aussi vivement que si elle lui avait annoncé la mort d’un proche, cherchant à sonder la sériosité de la question. La mine grave, Shae fixait le feu de camp. Il se détourna pour siroter son jus de chaussette. Faisant mine de réfléchir.
« Du Nouvel An au ministère ? »
Il lui refit face. Reprenant contenance. Elle le chopait au saut du lit comme une sauvage. Il n’avait rien avalé, et son estomac se contractait rien que d’y penser. Ou alors était-ce la conversation qui lui dérangeait le transit. Il secoua ses boucles.
« Le Nouvel An au ministère ? Tu veux une réponse franche ? »
Il s’approcha tout près de la blonde pour capter son attention, aussi sérieux qu’elle. Un échange de regard plutôt intense de quelques secondes marqua un temps d’arrêt.
« C’était de la grosse merde. Le punch était dégueulasse, pour une biture d’anthologie on repassera. Je vous avais dit qu’on aurait dû taper la soirée à la coloc’. Ça nous aurait évité le badtrip général ! Mais non ! Fallait qu’on se pomponne, et qu’on aille parader devant nos vieux. La bonne idée ! L’idée de qui d’ailleurs ? C’était toi la plus motivée il me semble, non ? »
Son visage se tordait en une duck face hideuse. Il agita sa main comme s’il s’éventait, puis d’une voix désagréablement aiguë il minauda :
« Gn,gn,gn Maaaaarje, est-ce que ma robe trouée par les doxys sied bien à mon look de gourgandiiiine ? »
Il tourna autour du feu, faisant mine de marcher avec des talons trop hauts.
« Hu hu hu » Tout en poursuivant son imitation calamiteuse il renversait son café par giclée à chaque pas maladroit qu’il faisait. Voilà.
Il décompensait enfin.
La tension nerveuse qu’il avait accumulé ces derniers jours l'avait rendu fou. Il venait de retrouver en une fraction de seconde toute la stupidité qui le composait. Ah, qu'est-ce qu'elle pourrait bien rétorquer ? Il s'arrêta à son niveau, un sourire idiot aux lèvres et papillonna des paupières.