Le mois de mars écossais était frileux. La neige avait beau avoir fondu, le temps restait merdique, tout comme l'humeur assombrie d'une certaine blonde de Serdaigle d'habitude impossible à calmer. Aujourd'hui était le jour maudit. Le jour où Aristide et elle avaient convenus d'un... rendez-vous. Elle aurait pu faire tant d'autres choses ! Elle aurait pu étudier le mouvement de Saturne, concocter une potion pour faire disparaitre les pustules de trolls, élaborer un nouveau sortilège vicieux et malveillant ! Elle aurait pu aller squatter le bureau de Pedro en réclamant une tasse de thé, elle aurait pu s'occuper de ses cactus venimeux... MAIS NON ! Voilà qu'elle était coincée dans un rendez-vous infernal, qui l'obligeait à sortir dans le temps pourri, brumeux et humide de Pré-Au-Lard un samedi après-midi, emmitouflée dans un pull trois fois trop grand, une énorme écharpe qui cachait la moitié de son visage, et une masse de cheveux frisottante à cause de l'humidité.
Agacée, l'adolescente fouilla dans ses poches et sortit une cigarette et un briquet, avant de jeter un coup d'oeil prudent aux alentours. Si un professeur la chopait, elle en prendrait pour son grade, et ça encore, c'était pas prévu. Elle se dirigea vers une ruelle étroite et sinueuse, et alluma l'objet du délit, tirant une bouffée presque religieuse de la cigarette. Expulsant la fumée lentement, elle jetait des coups d'oeil fréquents aux alentours, dans l'optique de croiser peut-être le fameux Serpentard concerné. Elle espérait qu'il aurait au moins l'amabilité de lui offrir une Bièraubeurre ! Depuis leur litige concernant la Tour d'Astronomie, elle ne le croisait plus dans les couloirs. Peut-être y avait-il établi campement, avec moult sortilèges et objets empilés pour l'empêcher d'y remettre les pieds.
Un sourire amusé étira les lèvres de la blonde à l'idée. Elle se ferait un plaisir de mettre le feu à tout empilement et de déjouer ses sortilèges minables d'un tour de poignet. Quand elle pensait au duel, où il avait gagné d'un improbable retournement de situation, elle enrageait. Quel sale petit veinard ! Tirant sur la cigarette et finissant par jeter le mégot, la sorcière de premier cycle délinquante sautilla d'un pied sur l'autre pour se réchauffer. L'Ecosse ! Tss, non mais quelle idée, de prendre un chateau écossais comme école ! Les courants d'air, les vieilles pierres humides et grinçantes, rien de tout cela n'était confortable ! Un petit groupe d'étudiants a l'air fatigué passa devant elle tandis qu'elle regagnait la rue principale, et elle grimaça. Super ! Maintenant il y aurait des témoins... Heureusement que c'était elle qui rédigeait la section ragots de la Gazette de Poudlard, sinon elle aurait été sure de voir un article publié à leur sujet. Impensable !
Mais les rumeurs iraient bon train, et elle se voyait déjà devoir démentir toute relation affectueuse ou même amicale entre elle et le détestable Serpentard qu'Aristide était. Lassée d'attendre, elle se jurait de lui envoyer un maléfice dès qu'il se pointerait quand enfin une masse de cheveux bruns reconnaissables se dessina au bout de la rue. Les bras croisés, l'air soupçonneux, elle l'attendait, et l'accueillit d'un très agréable :
- Ah bah enfin ! J'pensais que tu fuirais pourtant, Nordfake !
Rien n’était plus agréable qu’une journée brumeuse et froide de mars. Le printemps n’avait pas encore reprit ses droits et ce au grand plaisir de notre Serpentard qui avait une affection toute particulière pour la carte des étoiles hivernales. Orion était sublime à cette époque de l’année. La valse des lumières et les couleurs qu’offraient les nébuleuses ne manquait pas de magie non plus. Sa nuit entière passée l’oeil collé au télescope de la tour d’Astronomie le lui avait confirmé. Mais avouons qu’outre l’observation attentive des astres, une étrange excitation l’avait maintenu éveillé jusqu’au petit matin. Son rendez-vous avec Shae le paillasson le rendait nerveux. Non pas nerveux comme à la veille d’un examen de botanique, mais nerveux parce que c’était tout simplement le premier rendez-vous de sa vie. Même si, précisons-le, ce rendez-vous tenait plus de la blague que de véritables retrouvailles amoureuses. A bien y penser, sortir avec Shae Viridian sonnait comme une anomalie dans la matrice. Comment en étaient-ils arrivés là d’ailleurs je vous le demande ! Revenons à nos chaudrons ! Ce n’est que lorsque le soleil se leva qu’Aristide, imitant la lune, sombra dans un sommeil de plomb. Il se réveilla catastrophé et en retard un peu comme chaque jour depuis la rentrée. Avant de sortir, remarquant le givre sur les fenêtres de sa chambre, il attrapa son écharpe verte et grise trouée par endroits par la cendre qu’il perdait négligemment dans ses plis lorsqu’il fumait dehors et enfila une veste froissée plutôt tape à l’oeil. Sa seule et unique veste réservée aux grandes occasions, celle qu’il avait porté le jour où il s’apprêtait à faire sa déclaration à Eleanor Brandstone… Il l’avait balancé depuis dans sa valise, précautionneusement roulée en boule. Un dernier regard dans la glace lui confirma qu’il était au top niveau pour quelqu’un qui ressemblait à un sombral malade et il s’empressa de sortir. Un vent glacial et rigoureux l’enveloppa lorsqu’il fit ses premiers pas en direction de pré-au-lard. Les arbres étaient couverts de frimas et peu nombreux de ceux qu’il croisait sur sa route affichaient une mine ravie. Contrairement à lui qui, pour une fois, avait un étrange rictus moqueur figé sur ses lèvres gercées. Il se repassait en mémoire le duel glorieux qui l’avait opposé à celle qu’il s’apprêtait à rejoindre. Le visage de Shae ce jour là valait tous les gallions du monde : Stupéfié, interdit avec une pointe de rage dans les yeux. C’était sans doute le souvenir le plus mémorable qu’il emporterait de ses années à Poudlard. Enfin arrivé dans la rue principale, Il l’a vit. On aurait dit un Botruc dont on avait coupé l’arbre. Furax, les cheveux encore plus improbables que d’ordinaire. Il ne pouvait s’empêcher de jubiler intérieurement, ses dents en étaient presque découvertes.
- Ah bah enfin ! J'pensais que tu fuirais pourtant, Nordfake !
Le « Nordfake » eu le don de le calmer immédiatement. Se ressaisissant, il retrouva l’attitude qui le définissait si bien
"Fuir ? Je n’aurais raté ce rendez-vous pour rien au monde. Rien qu’à voir ta tête anéantie je ne regrette pas de m’être levé de bonne heure."
Maugréât-il en toute réponse, bien sûr il ne s’était pas levé tôt, mais Shae ne le savait pas, elle. La bave séchée au coin de ses lèvres n’allait certainement pas le trahir. Il regarda plus attentivement la Serdaigle qui, paranormalement, avait l’air bien plus grincheuse que lui. Le pull qu'elle portait était hideux.
"Dis donc, c’est la mode chez les fêlés le style patate fourrée dans un sac en toile de jute ? T'as l'air de faire le poids d'un troll. Tes cheveux sont en grande forme par contre."
Puis fouillant dans ses poches avec indolence il demanda :
"J’ai pas une noise en poche. Tu m’offres une bieraubeurre ?"
C'est qu'il s'était presque mis sur son trente-et-un ! Enfin, le trente-et-un d'un Sombral dépressif et sous héroine, comprenons nous bien. Retenant à grand peine un rire, elle dut détourner le regard une poignée de secondes pour reprendre son calme. Son humeur maussade se dissipait lentement mais sûrement. Cet imbécile avait cet effet là sur elle. Leurs réparties et bon mot sarcastique avaient le pouvoir de la remettre d'aplomb aussi sec qu'un shot de whisky pur feu ! Non pas qu'à 16 ans, elle ait déjà gouté du whisky pur feu... Enfin... Pas officiellement en tout cas.
Le grand dadais la toisait de son air méprisant habituel, et son air narquois s'effaça rapidement avec la salutation cassante qu'elle lui envoya. Se redressant d'un air de paon offusqué, il la toisa.
"Fuir ? Je n’aurais raté ce rendez-vous pour rien au monde. Rien qu’à voir ta tête anéantie je ne regrette pas de m’être levé de bonne heure."
Elle leva les yeux au ciel, et se força à répondre par un sourire narquois. Levé de bonne heure, mes fesses oui ! Il avait encore la marque du drap sur la joue, l'imbécile. Elle se contenta de lui renvoyer un regard blasé tandis qu'il continuait, critiquant sa tenue et ses cheveux. Piquée au vif sur sa capillarité, elle fouilla dans ses poches afin de nouer la tignasse en un chignon cachant la misère tandis qu'elle répondait à ses critiques vestimentaires par un coup de menton insolent.
- Parce que ta veste pourrie c'est la dernière mode des aristos peut-être ? Tes parents savent que tu troues tes fringues avec tes clopes au moins ? Pèquenaud !
Elle lui fit la grimace, et l'observa d'un air offusqué fouiller ses poches et avoir l'outrecuidance de quémander une bièraubeurre. Ce type était impossible ! Elle lui renvoya un regard halluciné et pinça les lèvres avant de compter les pièces trainant dans ses poches.
- On dirait que j'ai assez pour nous deux... Mais vu que c'est TOI qui a négocié ce rendez-vous, Fétide, j'aimerais bien qu'on m'explique au nom de quoi je paierais ta Bièraubeurre !
Sans attendre de réponse, elle leva les yeux au ciel, le prit par le bras, et l'entraina d'un pas décidé vers la Tête de Sanglier, un petit bar qui avait au moins la décence de ne pas accueillir trop souvent les professeurs - à part ceux vraiment portés sur la bibine - et les élèves de Poudlard. Avec un peu de chance, personne ne les verrait ! Tout en trainant le Serpentard, elle réfléchissait à comment lui faire payer l'affront qu'était ce rendez-vous tout entier.
- J'espère pour toi que tu as de quoi me payer une cigarette ou deux en échange ! Je suis pas Mère Thérésa !
Poussant la porte du boui-boui d'un air décidé, elle affronta le regard du gérant d'un air sans-gêne et tira son compagnon de route vers une table un peu planquée dans un coin, s'asseyant lourdement, avec la grâce d'un pachyderme et l'élégance d'une ogresse. Se débarrassant de son énorme écharpe dans l'atmosphère calfeutrée du feu de cheminée, elle finit par affronter le regard d'Aristide et ... se trouva bien bête. Que dire maintenant ? Continuer les incivilité ? Ou bien lancer un sujet un peu plus propice à un... rendez-vous ?
Qu'est ce qu'on faisait au juste, dans un rendez-vous à Pré-au-Lard ? Quel en était le but, la finalité ? Une image d'horreur lui passa sous les yeux, et elle se vit embrasser les lèvres gercées d'Aristide. Une grimace paniquée déforma ses traits une fraction de seconde, mais il était trop tard. L'image était là. L'idée aussi. L'adolescente se trémoussa sur son tabouret, mal à l'aise. Merde ! Un rendez-vous, c'était un truc ... de ... d'amoureux ? Mais elle et Aristide étaient TOUT sauf des ... elle ne pouvait même pas penser au mot sans qu'un frisson de dégout ne la secoue.
Non, c'était bel et bien hors de question. Mais à y repenser... C'était vrai que le Serpentard était moins véhément que d'habitude à son égard. Moins haineux. Plus disposé à batailler verbalement qu'à clore toute discussion possible. Perdue dans ses pensées, la blonde sursauta quant le gérant vint s'enquérir de leur commande. Avant même qu'elle n'ait pu ouvrir la bouche, voilà que le malotru en face commandait deux Bièreaubeurre d'un air narquois.
Ben voyons. Elle lui lança un regard noir.
- T'es toujours aussi malpoli ou j'ai le droit à un traitement de faveur ? C'est une espèce de parade amoureuse ton comportement ? Non parce que, laisse moi te le dire, ça fonctionne pas des masses !
Ravi de constater que ses provocations avaient eu l’effet escompté, il savoura. Observant avec patience les gestes agacés de la tornade blonde qui tentait vainement de dompter sa cascade de cheveux rétifs. Le chignon qu’elle venait de nouer sauvagement ne l’arrangeait pas plus qu'avant, à moins que le but de la manoeuvre fut de lui donner l’air d’une évadée d’Azkaban. Il se retint de lui en faire la remarque puisqu’elle enchaina avec un aplomb sardonique :
- Parce que ta veste pourrie c'est la dernière mode des aristos peut-être ? Tes parents savent que tu troues tes fringues avec tes clopes au moins ? Pèquenaud !
Critiquant tout de go les efforts vestimentaires d’Aristide avec la verve d’un camionneur mal embouché, Shae semblait, malgré les apparences, moins énervée qu’au premier « Nordfake » acerbe qu’elle lui avait balancé en guise de bonjour. Il eu le réflexe stupide de jeter un regard sur son pardessus histoire de vérifier s’il ne s’était pas trompé lors de son réveil précipité. Mais non, elle venait bel et bien de critiquer sa veste. Sa magnifique veste des grands événements ! Comme lui disait sa mère, "le bon goût n’est pas donné à tout le monde". Il plissa lentement ses yeux verts opalescents, les lèvres pincées en une moue réprobatrice. Et n’ajouta rien de plus jusqu’à ce qu’elle déclare, après avoir étudié minutieusement le contenu de ses poches:
- On dirait que j'ai assez pour nous deux... Mais vu que c'est TOI qui a négocié ce rendez-vous, Fétide, j'aimerais bien qu'on m'explique au nom de quoi je paierais ta Bièraubeurre !
Pardon ?! Avait-il bien entendu ?! « TOI qui a négocié ce rendez-vous » ? Il ne tiqua même pas sur le « fétide » qui d'ordinaire lui aurait donné de quoi pester des heures durant. Toi. Toi qui a négocié ce rendez-vous. Mais quelle mauvaise foi je vous dis ! Le trouble de notre Serpentard était si fort qu’il était sur le point de tourner les talons pour la laisser plantée là. Mais la Serdaigle semblait lire en lui et avant qu’il ne puisse se détourner d’elle, elle l’agrippa fermement pour le trainer vers le pire bar de l’histoire. La tête de Sanglier. Il l’a regarda alors d’un air de dire « T’es sérieuse là ?! », mais elle l’ignora royalement le poussant à l’intérieur, tout en négociant des clopes. Son manque de savoir vivre n’avait apparement pas de limites.
Une fois assis, Aristide se décida à lui offrir la plus désagréable des compagnies. Au summum de sa suffisance, il se garda bien de lancer la conversation, laissant un blanc gênant s’installer doucement. Ce bar insalubre semblait avoir une clientèle à la mesure de sa réputation. Il balaya du regard la décoration douteuse et défraîchie ainsi que les nombreuses taches suspectes qui coloraient les murs. Son attention se porta un moment sur ce qui avait l'air d'être un nifleur empaillé. Oui, la serdaigle avait eu le nez fin en l’amenant ici. Quel endroit charmant ! Quel endroit rassurant ! D'un air écoeuré non dissimulé il jeta un oeil sur la coupable en question. L’ardeur et le tumulte d’un caractère bien trempé semblaient avoir désertés Shae. En y repensant, ce devait être une torture aussi bien pour elle que pour lui. Leur tendance à la surenchère et à la provocation les avaient menés là. Ils n’étaient ni l’un ni l’autre à leur place et cependant leur audace ou bien peut-être la fierté d’avoir le dernier mot les opposaient aujourd’hui une énième fois. Après tout, Shae avait elle aussi la réputation tenace d'être un drôle d'oiseau de Poudlard. Cela leur faisait un point commun certain. Il se radoucit et c’est alors que ce qui devait probablement servir de gérant à ce troquet miteux arriva pour prendre commande.
" Pas trop tôt ! Deux bieraubeurres ! "
Apparemment vexée de ne pas avoir eu son mot à dire sur le choix de sa consommation l’évadée d’Azkaban exprima son agacement par des piaillements acrimonieux que notre Serpentard amusé n’écouta qu’à moitié.
" Rassure toi paillasson, je ne suis pas venu avec l’intention de te compter fleurette. " Il soutint le regard de la blonde qui semblait douter de la fiabilité de ses propos. " Que cela te plaise ou non. Tu. N’es. Pas. Mon. Genre. "
Articula-t-il de façon inaudible en appuyant chaque syllabes comme si son interlocutrice avait la capacité de lire sur ses lèvres. Nos deux compères étaient comme chien et chat. Ce litige au sujet de la tour d’Astronomie ainsi que le duel qui les avait opposés étaient les fondations manifestes d'une belle histoire d'inimitié. Toutefois, il se sentait le devoir de la rassurer sur ses attentes de la journée.
" Je te propose un truc, comme je pense que t’es pas de celles qui aiment parler de la pluie et du beau temps, on termine notre bieraubeurre fissa et on sort se trouver un coin tranquille à l’abri des regards indiscrets. "
Les deux bieraubeurres arrivèrent d’elles-mêmes à leur table comme animées d’une volonté propre. La proposition d’Aristide sonnait comme un plan libidineux. Et le regard que la Serdaigle lui lançait maintenant, bieraubeurre à la main, semblait en dire long sur ce qu’elle était en train de s’imaginer.
La tête d'Aristide lorsqu'il avait découvert le décor de la Tête de Sanglier resterait à jamais un souvenir chéri dans la mémoire de Shae. Sa bouche béante, son oeil brillant d'angoisse et de répulsion... Ah il était délicat. Précieux. Un peu de poussière et quelques animaux empaillés au mur suffisaient à l'ébranler ! La blonde pouvait au moins se targuer de ne pas faire tant de manière. Après avoir affronté une plante carnivore géante avec Pedro le mois dernier, et avoir fini pleine de terre, de substance visqueuse, tout ça dans la neige avec des engelures et une cheville foulée... disons qu'elle se sentait aguerrie par la vie. Et surtout, elle se sentait en vie. Se rappeler de cette soirée lui tirait un sourire ravi, et elle imaginait parfaitement poursuivre sa vie ainsi, à affronter le danger, véritable baroudeuse du monde sorcier.
Malgré tout, le comportement du Serpentard lui tapait sérieusement sur les nerfs. Entre ses regards narquois et son sourire en coin moqueur, elle ressentait l'envie cuisante de sortir sa baguette pour lui enseigner le respect dû à sa personne. Elle ! Shae Viridian ! Elle n'était pas n'importe quelle donzelle par Merlin ! Sa remarque ne tomba toutefois pas dans l'oreille d'un sourd puisque Nordfake ressentit le besoin pressant de souligner à quel point il ne comptait, en aucun cas, sur ce rendez-vous pour lui "compter fleurette". Le vocabulaire désuet arracha un sourire à la blonde qui s'élargit à sa déclamation très déterminée : "Pas.Son.Genre."
Quelle aisance ! Quelle certitude brillait dans les propos de la petite salade frisottée ! Bièraubeurre à la main, Shae secoua la tête d'un air désabusé et but une petit gorgée réconfortante. Le temps semblait moins gris, mais peut-être était-ce simplement parce que les carreaux du boui-boui étaient trop sales pour l'apercevoir correctement. Elle n'aurait jamais pu imaginer qu'au fin-fond de sa songerie, elle entendrait Aristide Howard prononcer les paroles suivantes :
" Je te propose un truc, comme je pense que t’es pas de celles qui aiment parler de la pluie et du beau temps, on termine notre bieraubeurre fissa et on sort se trouver un coin tranquille à l’abri des regards indiscrets. "
S'étouffant dans sa Bièraubeurre, elle posa lourdement la choppe sur la table et lui renvoya un regard écarquillé, secouée d'une toux incontrôlable
- ... Pardon ? Un coin tranquillle ?
Un fou-rire nerveux la secoua, et elle se contint à grand-peine de se taper les cuisses.
- Pour quoi faire exactement ? Te négocier une nouvelle coupe de cheveux ? Tenter de déjaunir tes dents ?
La Serdaigle tenta de reprendre sa respiration, secouée de rires nerveux, se tenant la tête avec les mains, abasourdie qu'une telle proposition puisse sortir des lèvres d'Aristide Howard sans qu'il ne se rende compte de l'énormité du sous-entendu. Il n'était pas si bête... Si ? Ou bien était-il sous l'emprise d'un sort ? Parce que pour virer d'un "PASMONGENRE" à un "COIN TRANQUILLE" ... Le type devait avoir au choix, pris un sortilège de confusion en plein dans sa mouille environ dix secondes plus tôt, ou alors bu une Bièraubeurre trafiquée. Soudainement suspicieuse, la Serdaigle jeta un coup d'oeil aux alentours. Mais à part le gérant dans son coin, il n'y avait personne... Ah si, merde, c'était pas un tas de fringues dans un coin, c'était un homme ivre-mort ça. Charmant.
Se focalisant de nouveau sur le Serpentard, elle claqua des doigts devant ses yeux en prenant un air concerné et inquiet
- ... ça va Frisouille ? T'as de la fièvre ? Est-ce que tu es sous l'emprise d'un sort ? Non parce que si tu veux, moyennant quelques Gallions, je t'en défais moi hein !
- ... Pardon ? Un coin tranquille ? Pour quoi faire exactement ? Te négocier une nouvelle coupe de cheveux ? Tenter de déjaunir tes dents ?
Alerte. Alerte. Alerte. Critique gratuite sur le complexe le plus sensible de notre Serpentard. Alerte. Alerte. Alerte. Ne lancez pas de sort impardonnable. Je répète, ne lancez pas de sort impardonnable ! * étouffe toi * Marmonna-t-il dans sa barbe, le regard sévère lorsque la Serdaigle avala de travers. S’ensuivit un long rire frénétique et d’allure forcé de la part de son adversaire armé jusqu’aux. Dents. Comme si ses moqueries n’avaient pas déjà suffisamment enfoncé le couteau dans la plaie. Elle se permettait de RIRE ! Voilà ce qui arrivait quand on montrait patte blanche à l’ennemi. L’ennemi se foutait bien de votre gueule. Certes, la tournure de sa phrase pouvait porter à confusion, mais cette attaque vile et perfide à l’égard de sa dentition torturée était la brimade de trop. Au rythme du fou rire de la blonde impitoyable, notre grand nigaud de Serpentard offusqué sombra dans une colère noire. Un nombre indécent d’insultes se bousculaient aux portes de son esprit. Ses joues, d'ordinaire anormalement pâles, se coloraient maintenant d’un rouge vif qu’il sentait monter en lui par des vagues de chaleur piquantes. Il maudissait ses dents, maudissait qu’on le sache, maudissait son impuissance à faire taire les mauvaises langues à ce sujet. Un claquement de doigt vif le fit revenir instantanément à la réalité.
- ... ça va Frisouille ? T'as de la fièvre ? Est-ce que tu es sous l'emprise d'un sort ? Non parce que si tu veux, moyennant quelques Gallions, je t'en défais moi hein !
L’air faussement inquiet de son assaillante ne le dupa point. Il amena la lourde chope poisseuse à ses lèvres. Avala de grosses gorgées aussi amères que le ton de cette journée. Il ne répondit pas. Shae Viridian était la personne la plus agaçante de la galaxie.
" Tu m’énerves ! " Finit-il par lâcher d'un ton sanguin. Et alors qu'il terminait sa bieraubeurre d’une dernière lampée hâtive, il se leva de table et prit le chemin de la sortie sans un regard pour la Serdaigle.
Une fois dehors, une rafale de vent passa sur sa nuque et caressa son grand dos frêle. Il rentra sa tête dans ses épaules et plongea ses mains nerveuses à l’intérieur de ses grandes poches fourrées. Il en sortit mollement une cigarette un peu pliée par le trajet jusqu’à pré-au-lard puis, d’un coup de baguette, l’alluma d’un incendio. Il inspira doucement la fumée de l’objet de son vice tout en plissant ses petits yeux de serpent. Ce n’est qu’après avoir tiré deux, trois fois sur sa sucette pour adulte qu’il se mit en route. Peut-être s’attendait-il à ce que Shae la perfide lui court après afin de lui présenter ses plus plates excuses. Mais non. Pas une masse blonde à l’horizon. Il faut dire qu’elle se plaisait sûrement à la tête de sanglier, ce taudis écoeurant où il était certain de ne jamais plus remettre les pieds. C’était très bien ainsi ! Qu’elle y reste ! Qu’elle n’en sorte plus ! Qu’elle y meurt dans d’atroces souffrances mordue par un nifleur empaillé ! Il serrait les dents rien qu’en y pensant. Pourtant, après avoir parcouru quelques mètres, s’apprêtant à quitter la rue principale, notre Serpentard agité s’arrêta net. " QU’EST-CE QU’ELLE M’ENERVE ! " Cria-t-il comme pour exorciser une colère oppressante qui bouillonnait en lui. Il jeta sa cigarette à peine entamée et sans qu’il ne sache pourquoi, fit demi tour prestement se précipitant en direction de la tête de sanglier. Il ouvrit la porte et hurla à pleins poumons : " BON TU VIENS ?! " Shae semblait quant à elle confortablement installée, loin de s’inquiéter du départ de son "date". Calme, sa bieraubeurre quasiment terminée, elle tenait dans ses mains l'écharpe aux couleurs des Serpentards. Aristide toucha nerveusement son cou, réalisant à l'instant qu'il l'avait effectivement oublié en partant pour ne "plus revenir". Ridicule. " Tu m'as cru ? Je reviens juste chercher mon écharpe en fait."
Le Serpentard semblait hermétique à son humour, et répondit à sa dernière tirade par un regard sombre. Mince ! Avait-elle touché la corde sensible de trop ? Le temps des disputes verbales semblait terminé tandis qu'il finissait sa Bièraubeurre à vitesse grand V, et qu'elle l'observait d'un air amusé qui s'estompait progressivement. Allait-il se lever théâtralement et quitter le bar ? Ses soupçons furent confirmés quand elle le vit remettre sa veste d'un air offusqué, ponctué d'un "Tu m'énerves !!" des plus dramatiques, et le voilà qui partait d'un air agacé.
Oups. Ou pas ? Elle ignorait si elle se sentait soulagée ou simplement déçue de l'abandon si rapide de son camarade. Shae fit signe au gérant pour lui payer les deux boissons et elle remarqua que le bougre avait oublié son écharpe. Levant les yeux au ciel, elle décida qu'il était inutile de lui courir après, il reviendrait bien de lui même pour son bout de laine troué sentant la clope après tout !
Fouillant ses propres poches, l'adolescente sortit un carnet et une plume, griffonnant des idées de sortilège et des applications, barrant des symboles étranges sur ses pages, attendant patiemment qu'Aristide revienne, de son air dépité et vexé. La poussière du bar tourbillonnait dans l'air, et la blonde se perdit dans ses pensées un moment. Qu'adviendrait-il de la Tour d'Astronomie si ils ne se parlaient plus ? La guerre déjà ouverte deviendrait-elle cuisante ? Plus prononcée, plus mauvaise ?
Lorsque la salade frisée dégingandée refit irruption en criant "BON TU VIENS !?" , Shae, prise par surprise, faillit dégringoler de sa chaise mais parvint à garder un air neutre, faisant mine de siroter son fond de Bièraubeurre. AhAH !! Il revenait pour elle en plus ? Il voulait poursuivre leur.. rendez-vous ? Elle s'apprêtait à sourire d'un air narquois lorsqu'il coupa son élan
" Tu m'as cru ? Je reviens juste chercher mon écharpe en fait."
Crétin. Elle se leva, rangeant ses affaires et remettant son écharpe.
- C'est ça, bien sûr ! Allons-y, espèce de démon vivant.
Elle lui attrapa le bras, inspirée soudainement, l'agrippant fermement pour être sûre qu'il ne parte pas en hurlant.
- Tu voulais un coin tranquille pas vrai ? On a qu'à aller à la Cabane Hurlante. J'ai besoin d'une cigarette de toute façon !
Shae planta ses ongles dans son bras avec un large sourire - un peu effrayant - et le tira en saluant le tenancier d'un signe de tête. Elle n'allait pas finir son après-midi laissée sur le côté par un Serpentard au charisme équivalent d'un Scroutt à Pétards. Ce rendez-vous, elle le voyait désormais comme un défi personnel ! Et elle allait gagner, sur tous les plans. Tirant son compagnon plus que reluctant, ils quittèrent la rue principale pour se diriger vers la sinistre Cabane Hurlante. Ah ça, elle savait les choisir ses lieux romantiques et propices au badinage.
Durant le trajet, elle babilla à propos de plantes et de sortilèges, de quoi assommer Aristide pour un moment, tout en fumant avec la prestance d'un lutin épileptique. Le vent soufflait plus fraichement, et les grosses mailles de son pull ne protégeaient pas tant que ça au final, elle du s'arrêter pour se frictionner les bras en maugréant
- Quel temps de merde !
Elle lui reprit le bras aussi sec et le tira jusqu'à la Cabane Hurlante, où elle ouvrit grand la porte d'un coup de baguette sûr et certain, d'une façon presque théatrale...
- Bienvenue dans ton nouveau palazzo, Norfolk !
Elle éclata de rire et entra, se souciant peu de l'air tout sauf rassuré de son compagnon de route.
Oui, son retour avait été des plus maladroits. Oui, il ne savait pas se comporter en société. Oui, il était d’une susceptibilité affolante. Et oui ! Son « j’reviens pour mon écharpe » ne dupait personne. Pas même le gérant du bar qui frottait son comptoir avec un chiffon gris de saletés. Cette longue série de bavures sur le plan humain l’aurait en temps normal découragé. Il n’aurait pas fait demi-tour pour batailler. Mais sortir avec Shae Viridian n’avait rien de normal. La côtoyer en dehors du cadre de l’école était déjà d’une étrangeté sans précédent. Ce qu’il voulait réellement ? Peut-être bien s’en faire une amie, ou peut-être bien l’enterrer quelque part pour en être définitivement débarrassé. Il n’aurait su dire tant ses sentiments étaient emmêlés. Une partie de lui souhaitait la rétamer, pourtant s’il écoutait attentivement la petite voix raisonnable qui tambourinait dans son coeur, il se serait rendu compte que sa colère précédente émanait d’une peur. La peur d’être une énième fois rejeté. Sa température chuta lorsque Shae lui agrippa le bras pour la seconde fois de la journée. Encore plus fermement qu'avant. Craignait-elle qu’il parte à nouveau ? Ou bien aimait-elle la proximité que cela occasionnait ? Il secoua la tête pour se débarrasser de cette pensée fugace.
- Tu voulais un coin tranquille pas vrai ? On a qu'à aller à la Cabane Hurlante. J'ai besoin d'une cigarette de toute façon !
Lorsqu’il entendit « cabane hurlante » il voulu s’extirper de son emprise mais elle pressa son bras plus fort, plantant ses serres dans les écailles du serpent, déterminée. C’était à croire qu’elle aussi, avait comme idée d’enterrer son compagnon quelque part pour avoir la paix !
" Oui pour le coin tranquille ! Mais tu n’as pas moins glauque que la cabane hurlante ?! " Se plaignit-il inutilement, puisqu’ils ne changèrent pas de direction.
Elle l’ignora d’ailleurs en enchainant sur un sujet qui était loin de lui plaire. Le jardinage. Il lui offrit une cigarette avec espoir de la faire taire, mais elle semblait lancée pour de bon et le remerciant d’un sourire elle exhala la fumée en poursuivant de plus belle. Prenant sur lui et tentant de se montrer aussi aimable que son attitude blasée le lui permettait, il ponctuait le monologue de la sorcière par quelques " Mmh ", " Ah ", " Super… ". La torture prit fin lorsqu'ils arrivèrent à destination.
- Quel temps de merde !
Lança la blonde dont le chignon commençait à se défaire alors qu’elle frictionnait ses bras.
" Tu pèles de froid ? Je t’aurais bien prêté ma 'veste pourrie' mais il me semble que ' la dernière mode des aristos ' jurerait avec ton style d’évadée d’Azkaban "
Il retrouva son sourire narquois des premiers instants pas peu fier d’avoir enfin réussi à placer sa vanne vaseuse. Mais ce rictus ne dura qu’un instant. La serdaigle était loin de s’avouer vaincue, elle lui attrapa le bras. Une troisième fois. Les yeux remplis de malice, et c’est avec effroi que notre pauvre Aristide réalisa que non contente de les avoir trainés aux abord de cet endroit maudit, l’intention de la blonde était de les faire entrer. La porte fut ouverte après un cérémonieux coup de baguette et Shae s’engouffra à l’intérieur riant aux éclats. Notre serpentard, nigaud qu’il était, hésita quelques secondes planté sur le perron, seul et inquiet dans le froid mordant de pré-au-lard. " Shae ? " Appela t-il doucement mais Il n’y avait plus que le souffle du vent pour lui répondre. " Shae ! " Tenta-t-il plus fort avant de se précipiter à l’intérieur. Son coeur battait la chamade. " SHAE ! "
Elle était là, un large sourire énervant aux lèvres, dans une pièce qui aurait pu faire office de salle à manger en des jours meilleurs. Aristide posa une main nerveuse sur son coeur qui dansait la polka.
" J’y crois pas ! T’es cinglée ! C’est quoi la suite du programme ?! Tu vas me découper en morceaux et manger mes entrailles à la petite cuiller ?! "
Il observa les alentours comme si le fantôme de Voldemort s’apprêtait à surgir de l’obscurité pour les étriper tout deux. Puis, réalisant peu à peu que le règne de la poussière était ici plus vraisemblable que celui d'un mage noir sans nez, il soupira. " je te jure... " Marmonna-t-il en fouillant dans ses poches.
" Tu me demandais des clopes tout à l’heure ? J’ai mieux. " Il présenta à la Serdaigle une petite pochette hermétique qui une fois ouverte dégageait une forte odeur enivrante. " Ta nouvelle passion barbante pour la botanique te permettra au moins de reconnaître cette plante. " Affairé à tasser les racines de champifleurs mexicaines dans une pipe aux formes étranges en bois d’ébène il ajouta, amusé par la situation :
" Je te propose de fumer le calumet de la paix." Puis, plongeant son regard dans celui de la blonde, il lui tendit l'arme du crime. "A toi l'honneur."
Une bienveillance rare illuminait à présent son visage. Il se rendait compte qu'il ne savait que très peu de choses au sujet de la Serdaigle. Fumait-elle ? Sa réaction allait bien le lui dire. Peut-être allait-elle le dénoncer dans un article fumant de la gazette de Poudlard...
Malgré sa blague vaseuse sur le fait qu'elle ait froid, prouvant une fois de plus qu'il semblait prendre ses remarques très à coeur - oh ça va elle était pas si mal cette veste, il aurait dû le savoir - Aristide la suivit. Bon, c'est vrai qu'avec la poigne avec laquelle elle le trainait, il n'avait pas trop le choix ; mais elle était tout de même impressionnée qu'il n'ait pas encore fuit comme un petit lapin. Elle entra sans plus de cérémonie dans la Cabane Hurlante, pas effrayée pour un sou. Et pour cause - elle fréquentait les lieux depuis sa première excursion à Pré-au-Lard. La petite Shae de douze-treize ans ne s'était pas embarrassée de savoir si les rumeurs étaient vraies : elle avait été vérifié elle-même.
Tout ce qui se trouvait dans la Cabane Hurlante, c'était de la poussière, des insectes, et encore plus de poussière. Rien de terrifiant donc. Elle en avait déduit que c'était là le refuge idéal pour fumer en cachette, et s'adonner à des tests de sortilèges un peu plus risqué que la moyenne. Elle se devait de redoubler de prudence depuis que Smethley l'avait à l'oeil. Hors de question de laisser la vieille pie mettre les pieds dans son oeuvre, son travail si précieux. La Cabane Hurlante était l'endroit rêvé. S'installant confortablement sur une chaise, posant les pieds sur la table, elle attendit patiemment que son comparse amasse le courage nécessaire pour la rejoindre. Elle lui offrit un sourire ravi, et écarta les bras.
- Alors ? Le palazzo est à votre goût monseigneur ?
" J’y crois pas ! T’es cinglée ! C’est quoi la suite du programme ?! Tu vas me découper en morceaux et manger mes entrailles à la petite cuiller ?! "
Elle leva les yeux au ciel. Quel enfant dramatique il faisait ! Sans prendre la peine de répondre à ces piètres accusations de psychopathie dont elle se défendait déjà bien assez au quotidien, elle se contenta de sourire d'un air serein, son ton devenant d'une patience mielleuse et condescendante.
- A part la poussière et deux-trois araignées, je te promets que tu ne risques rien. Allez arrête de bouder, installe toi !
Après inspection de l'endroit d'un air clairement répugné, le nez froncé et ses yeux délicats plissés, le noble Serpentard finit par céder, les mains dans les poches. La raison se faisait enfin entendre sous son crane d'oiseau ! Allelouia ! Shae aurait détesté devoir le rassurer. Si il ne savait pas raisonner avec calme et sang-froid, il devenait un poids mort, et elle n'avait pas que ça à faire, de gérer un cobaye sur pattes.
Fort heureusement, il semblait qu'elle avait vu juste en l'estimant suffisamment déviant pour apprécier le charme incongru de l'endroit. Il finit par se rasséréner et sortir d'un air malicieux un petit sachet d'herbe à l'odeur prenante, avec une pique destiné à sa nouvelle passion pour la Botanique. Shae se redressa sur sa chaise, attentive, tandis qu'il sortait une pipe en bois ancien, soigneusement cirée et aux formes étrangement... belles. Inattendu et ... fort appréciable. La Serdaigle en était bouche-bée. Aristide ? ARISTIDE ?! Ce pleutre, qui se cachait derrière ses grands-airs au moindre signe de danger, OSAIT fumer quelque chose de potentiellement dangereux ? Un sourire amusé se dessinait déjà sur ses lèvres, quand il lui tendit ladite pipe.
" Je te propose de fumer le calumet de la paix. A toi l'honneur."
Sans hésitation, elle saisit la pipe et l'observa sous toutes ses coutures.
- Aristide ! Tu m'impressionnes ! J'ignorais que tu avais ce ... vice ?
Elle étouffa un petit rire et prit sa baguette dans une main, la pipe dans l'autre, l'allumant d'un petit coup d'Incendio contrôlé. Fermant les yeux une seconde, elle tira sur l'objet du délit avec une inspiration, et inhala la fumée quelques secondes, avant d'être prise d'une quinte de toux. WOH. C'était on ne peut plus fort que l'herbe moldue à laquelle elle s'était initiée ! Forcément : c'était magique. Les yeux plissés, elle lui tendit la pipe en se tapant sur la poitrine.
- Par le caleçon souillé de Merlin ! C'est... c'est puissant !!
Elle reprit sa respiration, les pupilles se dilatant déjà. Quelle belle brochette d délinquants ils faisaient ! Rien qu'à imaginer la tête de Smethley, elle eut un rire nerveux et secoua la tête, s'étirant. Elle se sentait déjà... mieux. Une profonde sensation de sérénité prit le dessus sur son esprit agité, et elle fit peut-être le premier véritable sourire de sa vie à Aristide, un sourire apaisé et véritablement sympathique.
- Tu viens de gagner... genre... 15 000 points de charisme et de sympathie. C'est un win mon sire !
Elle étouffa un nouveau gloussement, se balançant au rythme d'une musique imaginaire. Qu'est ce qu'elle se sentait bien ! L'ambiance était rêvée pour partager des choses avec ce nouvel ami ! Il n'était même pas si détestable que ça, le bougre !
- J'aime bien ta veste en fait ! Elle te donne un air de poète maudit, tu devrais écrire de la poésie. Y'avait pas une fille que t'aimais bien ? Tu devrais lui écrire des poèmes. Il paraît que ça fonctionne du tonnerre cette histoire.
Shae hocha la tête vivement pour confirmer ses propres propos, le regard un peu absent, plongée dans ses pensées.
- Oh jt'ai pas diiiiiis !!! Attends attends, tu vas trop rire. Tu vas pas me croire. Tu vas pas en revenir !!
Elle tapa sur la table pour faire monter le suspens, dans une mimique de tambour.
- J'ai vu deux Gryffondor se rouler des grosses galoches dans un couloir l'autre soir... Mais l'un d'eux... Greg... ? Gregus ... ? Bref on s'en fout de son nom, il a UNE AUTRE COPINE ! Tu paries combien que je les affiche dans le prochain numéro de la Gazette ?
Elle ricana, toute fière à cette idée. Le drame de l'adultère, c'était bien un thème récurrent des potins de Poudlard. Et c'était hilarant, de les voir s'agiter comme des fourmis paniquées à chaque article qu'elle publiait. Être insomniaque et hyperactive, comme quoi, ça avait des bons côtés.
Vous l’aurez sans doute remarqué, Shae Viridian était quelqu’un de peu orthodoxe. Elle était de ceux qui ne laissent personne indifférent. La demi mesure ? 404 error, not found. Pas le temps de s’ennuyer ! Allons à la tête de sanglier ! Le bar le plus malfamé et ignoblement sale de pré-au-lard ! Et tiens ! Pour parachever ce rendez-vous, finissons le en beauté à la cabane hurlante ! Juste l’endroit le plus hanté de Grande Bretagne ! La patience de notre Serpentard fut mise à rude épreuve tout au long de leur entrevue. Lui qui ne se sentait qu’à peu près bien qu’en terrain connu. Lui qui avait le besoin obsessionnel de maintenir une routine casanière et sans dangers mortels. Certes, on ne pouvait pas dire que la cabane hurlante était le fief du risque. Mais outre son côté pleutre prononcé, Aristide était aussi doté d’une imagination débordante qui le conduisait trop souvent à appréhender le pire. Le cocktail Shae/Aristide aurait pu exploser à tout moment, et pourtant. Pourtant, se surprenant l’un l’autre à partager le même vice, les voilà qui enterraient la hache de guerre en s’échangeant le calumet de la paix. L’éruption volcanique Howard était au repos, du moins le temps des effets du champifleur mexicain.
-Par le caleçon souillé de Merlin ! C’est… C’est puissant !!
S’exclama la masse blonde entre deux quintes de toux après lui avoir rendu son bien. Il amena la pipe à ses lèvres dans une lenteur théâtrale, appréciant cette nouvelle connivence qui les liait peu à peu. Il connaissait bien les effets de la variante mexicaine du Champifleur. C’était fort. Très fort. Et tout aussi relaxant à condition qu'aucunes pensées néfastes ne viennent perturber l'ascension.
« J’ai souhaité que tu t’étouffes tout à l’heure paillasson, mais je révoque mon voeu, on a encore des choses à se dire ! »
Dit-il d’un ton badin, un rictus tordu au coin des lèvres. La Serdaigle répondit d’un rire, était-ce sa blague pas drôle qui trouvait enfin écho ou bien le Champifleur qui cognait sec ? Il aspira la fumée et la recracha tout en analysant l’attitude de Shae qui se détendait comme un chat. Plus vraisemblablement le champifleur… Un sourire idiot illumina alors son visage et elle se laissa aller à complimenter pour la première fois notre Serpentard. Oui… Le champifleur cognait vraiment dur.
- J'aime bien ta veste en fait ! Elle te donne un air de poète maudit, tu devrais écrire de la poésie.
Entendre que sa veste n’était pas si moche l’emplit d’une fierté démesurée. Il tendit ses deux bras et loucha sur ses manches pour en admirer les froufrous qui ornaient ses poignets. Légèrement euphorique, il regarda Shae et lui aussi finit par afficher le sourire idiot caractéristique des fumeurs de champifleur. Ses dents jaunes et longues étaient malencontreusement dévoilées sans que cela ne l’inquiète.
- Y'avait pas une fille que t'aimais bien ? Tu devrais lui écrire des poèmes. Il paraît que ça fonctionne du tonnerre cette histoire.
Proféra t-elle en soudaine experte des histoires de coeur. Il la toisa un moment, désarçonné. Son sourire était maintenant tout aussi figé que lui. Comment le savait-elle ? Il n’en avait jamais parlé à personne. C’était à peine s’il osait y penser de peur qu’un hypothétique legilimens ne le surprenne. Il tira sur sa pipe plus longuement et aspira une grosse bouffée de fumée méditant sur ce que la Serdaigle venait de balancer.
- Oh jt'ai pas diiiiiis !!! Attends attends, tu vas trop rire. Tu vas pas me croire. Tu vas pas en revenir !!
A dire vrai, Aristide s’attendait au pire, son naturel curieux lui fit pourtant tendre une oreille attentive. Il tira plusieurs fois sur sa pipe comme pour se donner contenance et quand Shae tapa sur le table, il sursauta.
- J'ai vu deux Gryffondor se rouler des grosses galoches dans un couloir l'autre soir... Mais l'un d'eux... Greg... ? Gregus ... ? Bref on s'en fout de son nom, il a UNE AUTRE COPINE ! Tu paries combien que je les affiche dans le prochain numéro de la Gazette ?
Il était monnaie courante d’entendre courir des rumeurs de ce genre au château. Aristide était d'ailleurs un féru de mauvaises intrigues, la médisance était un terrain qu’il foulait régulièrement sans honte. Il aimait diffuser les ragots, se plaisait à rire du malheur d’autrui. Avec lui, les secrets qui rythmaient la vie des élèves n’étaient plus des secrets et ceux qui n’étaient pas fondés devenaient plausibles. Toujours est-il que lorsqu’un article de la plume de Shae Viridian paraissait dans la gazette de poudlard, la rumeur prenait les traits d’une histoire concrète et bien documentée. Elle n’épargnait personne dans sa rubrique de potins assassins. D’ailleurs qui avait eu la fausse bonne idée de l’assigner à ce poste ? Aristide comptait parmi les lecteurs assidus de sa rubrique. Un secret qu’il n’était pas près de dévoiler à sa complice de fumette. Jamais de la vie ! Vous êtes fous !
« Mais... COMME J’ADORE TA RUBRIQUE SHAE ! Je suis ton plus grand fan ! Mention spéciale quand tu fais la misère aux Gryffondors ! »
S’exclama t-il sincère, sans qu’il ne puisse se contrôler. Un rire hystérique le secoua. Il tendit la pipe à sa camarade de commérage. Il venait d’en abuser. Ses yeux rapetissèrent et il sentait son coeur battre dans son crâne.
« Tu sais, je pense que t’as un réel talent pour la calomnie ! Si je ne te détestais pas autant on serait tellement potes ! Oh ! J’ai bien un scoop à te confier ! »
Il s’arrêta, se délectant de faire durer un suspens inutile. Shae semblait planer sur une autre stratosphère mais le mot scoop avait eu son petit effet sur elle et son attention lui revint.
« Oui ! Il m’est arrivé un jour... une fois… jadis... il fut un temps… d’éprouver ce qu’on appelle couramment un… un béguin. Tout petit, petit, petit, pour quelqu’un. (Ne te berce pas d’illusions, c’est pas toi hein !) Mais c’était rien. Juste une passade. Tu sais, un truc qui file entre les doigts. »
Quel doux mensonge venait-il de lui confier. Eleanor… n’était pas une passade, il le sentait au plus profond de son âme. Elle était la raison de sa joie et de sa peine. Mais malheureusement pour lui, il était trop tard. Il imagina alors la petite Poufsouffle aux bras de Gregus Laplantus. Euh pardon, Fredus Laplantus. Attendez ?! Qui était ce gryffondor qui trompait sa copine avec une autre exactement ? Les rouge et or étaient légions à se tromper l’un l’autre, normal vous me direz, c’était des gryffondors ! Dénués de manières, griffons sauvages de la foret interdite rien de plus ! Mais se pourrait-il que… ce Gregus… ? Non ! La coïncidence était trop belle. Aristide partit d'un rire triste, ce n'était pas le moment de taper le bad.
« Franchement tu m'as vu ?! On dirait pas comme ça ! Tu me vois éprouver autre chose que du dédain ? Au fait, Gregus tu disais ? Il avait l’air de quoi ce gryffondor ? Outre l'aspect abruti fini qu'ils ont tous je veux dire. »
La question était timide, le ton amer, mais son aptitude à appréhender le pire lui dictait ses mots comme un rien. Il se mordait la lèvre pour se punir d'en avoir trop dit, son regard était fuyant. Note à lui même : Effets indésirables du champifleur mexicain = descente trop brutale après ascension fulgurante.