Ses bottines en cuir de dragon usées jusqu’à la fibre piétinèrent nerveusement les couloirs des bureaux. En passant, son reflet dans le miroir lui informa que sa tentative de rafistolage du chignon mal noué qui siégeait sur son crâne était un échec. Quant aux légères cernes qu’elle arborait, elles n’inspiraient pas vraiment la tête d’une recrue à la vie saine. Pourtant la brune avait fait des efforts considérables pour paraître volontaire à partir d’un bon pied.
Cette convocation avec son futur chef, Tara ne savait pas comment l’appréhender.
Depuis que Price l’avait pour ainsi dire délogée de son aile protectrice, Tara s’était retrouvée presque seule contre tous. Investie de ce sentiment sûrement infantile que personne n’oserait se rebiffer contre l’avis sans appel d’un Auror aussi influent dans son service que Lloyd, l’écossaise s’était préparée à s’habituer aux regards insistants des plus âgés et aux jugements non-dits d’autrui.
Alors quand on lui avait annoncé qu’on lui donnait une autre chance – quand la porte quasiment refermée sur elle s’était rouverte pour laisser entrevoir un filet d’espoir -, la jeune fille avait eu bien de la peine à y croire. A la sensation infinie du soulagement s’était succédée celle plus pernicieuse de la méfiance. Tout cela était un peu trop beau pour ne pas contenir un piège qui ne se dévoilerait que trop tard. Rares étaient les repêchés dans ce type de domaine : est-ce qu’on attendait d’elle qu’elle change radicalement d’attitude par tous les moyens quitte à lui faire subir une pression folle ? Est-ce qu’ils allaient au contraire essayer de la faire taire en la plaçant dans une des branches du Département les plus ennuyeuses en espérant que sa carrière ne s’envole jamais et qu’elle croupisse dans un coin reculé de l’open space à ne traiter que des disparitions de Nifleurs domestiqués ? Au final, est-ce que Price n’allait pas tenter de faire taire ce qu’il avait considéré comme un échec aux yeux de tout le reste des Aurors ? D’une manière ou d’une autre, la sang-mêlée n’avait aucun moyen de savoir à quelle sauce elle serait mangée.
Fumer plusieurs cigarettes d’affilée ce matin n’avait pas calmé les dizaines d’interrogations qui transformaient sa cervelle en bouillie confuse. Alea jacta est, disait bien cette vieille maxime latine : elle n’avait plus le temps ni l’envie de fuir, et surtout pas d’autre choix que de saisir à pleines mains la minuscule opportunité qu’on lui laissait de sauver son destin. Etre Auror, c’était tout ce qu’elle s’imaginait faire, et sans ça … Tara n’avait aucunement besoin d’imaginer ce à quoi sa vie ressemblerait.
La salle de réunion qu’on lui avait indiqué dans la note de service en arrivant lui faisait à présent face. Elle toqua trois fois à la porte avant de finalement l’ouvrir. Valentine l’attendait déjà, assis, quelques dossiers négligemment entassés devant lui. L’ex-Serpentarde n’eut même pas à y poser le regard pour deviner que tous ces parchemins parlaient nécessairement d’elle et de son parcours ; aussi se contenta t-elle d’hocher la tête en signe de salutation, ses lèvres laissant échapper un « Bonjour » peut-être un peu trop solennel pour elle, si peu formelle.
Ses yeux alternèrent entre la chaise vide face à son interlocuteur et le visage de ce dernier avant qu’elle ne s’assoit finalement. Elle nota ses yeux d’un bleu d’acier, ses traits visiblement plus burinés que la plupart des bureaucrates du service et surtout la barbe bien moins rasée que celle de Price – tout ça semblait presque ressembler à de multiples signaux que les choses s’annonçaient moins graves que prévu pour elle. « Vous vouliez me voir ? » Ce n’était pas véritablement une question, plutôt une façon plate de commencer la … Discussion ? Les hostilités ? Là encore la jeune apprentie ne pouvait compter que sur ce qu’on lui avait dit et ce qu’elle avait entendu de lui ; autant dire qu’elle n’avait rien d’autre que sa fidèle intuition pour savoir si Trevelyan Valentine était le mentor qu’il lui fallait.