Prononcer le nom de Cassandra Bishop avait plongé l’esprit de l’étudiant dans une brume de souvenirs lointains, troubles. Les sourires francs qui illuminaient la vie des Bishop, qui s’affichaient encore sur quelques vieilles photos encadrées sur la cheminée de la maison de la famille. Son père qui restait éveillé parfois jusqu’au petit jour, attendant le retour de sa femme afin de s’assurer qu’elle survive à chaque fois qu’elle se rendait au travail, sans savoir qu’au-dessus de sa tête ses fils essayaient de tenir autant que lui. Les lettres pleines de mots encourageants qu’il recevait à Poudlard et qu’il s’efforçait de cacher entre son matelas et le cadre du lit, près de sa tête. Celui de la chambre à Sainte-Mangouste. Sa mère inconsciente, victime des tourments d’une malédiction sadique qui déjouait les guérisons des Médicomages depuis quelques mois déjà.
“Mmh. On a bossé sur pas mal d'affaires ensemble, elle et moi. C'était une Auror brillante, mais je suppose que tu le sais déjà.”

Un flot de bière vint emporter ces images indésirables dans les profondeurs de son inconscient. Il avait passé plus de cinq ans dans le déni, il comptait bien y rester au moins une journée de plus. Malgré les quelques gorgées consécutives, il restait encore quelques images imprimées dans son esprit. Ses yeux se rivèrent sur ceux de l’Auror. Il réalisa alors que les souvenirs étaient remontés dès qu’il avait posé les yeux sur lui, dès qu’il avait soupçonné la présence d’un Auror dans la pièce. Cet homme, ce Valentine, agissait comme une ancre plantée dans l’heureuse époque où Logan avait encore ses deux parents réunis, heureux.
“Ta mère m'a beaucoup appris sur les filatures. A moi et d'autres, d'ailleurs. Assez pour qu'on ait pu pister ce salaud et l'envoyer pourrir loin de tout. Ca efface rien, je sais, mais il ne fera plus de mal à qui que ce soit de là où il est.”

Logan baissa le regard. Il avait bien envie de dire que le résidu d’inceste qui avait fait autant de mal à sa mère devait s’estimer heureux d’être à l’abri de son courroux à Azkaban, mais il reconnut là les premiers effets que pouvait avoir la consommation d’alcool. Un surplus de confiance et un orgueil prononcé. Mieux valait ne pas avoir l’air plus idiot que l’Auror ne semblait penser. C’était vrai que sa mère était douée. Il avait entendu plein d’amis de ses parents vanter ses mérites à son père, une cigarette à la main, sur un ton endeuillé, après l’attaque. Sa mère n’avait jamais voulu lui parler de son métier, il était trop jeune d’après elle. Comment lui en vouloir ? Il n’avait même pas à penser à ses BUSEs en ce temps-là. La question de l’après-Poudlard ne s’était jamais sérieusement posée. Et la seule fois où elle l’avait emmené au Bureau des Aurors, ça ne s’était pas vraiment passé comme prévu...

L’Auror se leva dans un mouvement qui trahissait son agilité et sa force. Où allait-il ? Non ! Il pouvait pas partir comme ça, alors qu’il venait de lui dire qu’il avait connu sa mère et qu’il avait même travaillé plusieurs fois avec elle ! Il avait tellement de questions à lui poser… Des questions qu’il n’avait jamais osé poser à sa mère, ne souhaitant pas la replonger dans un monde qu’elle cherchait à éviter ; et auxquelles son père n’avait aucune réponse (valable). Valentine laissa glisser quelques Mornilles sur la table et acheva :
“Passe le bonjour à ta mère dès que tu pourras, Bishop. Ca devrait suffire pour la Paralyzer et toutes les autres. Garde ce qui reste. Essaye juste de pas tout dépenser en Feuxfous Fuseboum, je suis pas encore remis de la dernière fois.”

Interloqué, Logan ne savait pas quoi répondre. Merci ? Attendez ? Ce qui finit par lui échapper fut un gloussement en se remémorant un très vieux souvenir, ce fameux jour où sa mère l’avait emmené au Bureau des Aurors et où il avait lâché plusieurs Feuxfous Fuseboum, ce qui lui avait valu une fessée déculottée devant tous les collègues présents. Gêné de savoir que Valentine ait assisté à toute la scène, Logan se contenta de se gratter la nuque en s’efforçant d’ignorer le sourire goguenard de son interlocuteur :
“C’est fou ce qu’on peut faire à cet âge-là hein ?” dit-il avec un rire gêné.

L’Auror fit demi-tour et s’éloigna en direction de la sortie. Parmi toutes les phrases qui tourbillonnaient dans son esprit, Logan choisit sûrement l’une des pires :
“Je sais pas si je lui parlerais de vous, Valentine… Ça lui ferait trop mal…”

Valentine jeta à l’étudiant un regard compréhensif par-dessus son épaule, auquel Logan répondit par léger hochement de tête comme pour signifier un “Au revoir” digne et respectueux. Les deux paires d’yeux se quittèrent en un courant d’air suivi d’un claquement de la porte du pub derrière laquelle disparut la silhouette athlétique du chasseur de mages noirs.

Logan garda ses yeux rivés d’un air pensif sur la porte, à l’endroit où le béret de l’Auror se trouvait quelques instants plus tôt, pensant à toutes les questions qu’il aurait pu poser sur sa mère. Presque immanquablement, l’image d’Elsa, pour qui l’aide d’un Auror aurait pu être inestimable, s’imposa dans son esprit à la suite de celle de Cassandra Hart. Rendu un peu plus amer par son absence de vivacité d’esprit, Logan se leva vers le comptoir où il déposa les pièces d’argent laissées par le roux.
“Désolée pour Valentine, je crois que son idiot d’apprenti le rend un peu aigri…” dit Perdita en consignant soigneusement les Mornilles.
“Pas besoin de t’excuser Perdi.” répondit-il nonchalamment en déposant un pourboire avec les Mornilles en trop. “Ça a été une conversation assez intéressante.”
“Essaie de l’éviter, je ne pense pas qu’il apprécierait de se faire harceler par un gosse comme toi.”
“Désolé darl, mais j’ai l’intuition - il se retint de parler de certitude - que lui et moi nous croiserons à nouveau…” répondit Logan en dissimulant la gravité qui pesait sur ses pensées derrière un sourire en coin qui l’accompagna jusqu’à la porte des Trois Balais, derrière laquelle il disparut à son tour.