L'implacable crachin souffletait les toits d'Edimbourg depuis des heures. A la lueur ambrée des réverbères, froid et mesquin, il s'abattait en longs filigranes orangés avant que d'être dévoré par la pénombre avide qu'une Lune hagarde peinait à dissiper. Elle était pourtant ronde et bénie d'être pleine, mais les reflets trop blêmes dont elle griffait ça et là les pavés trempaient la capitale d'une aura inquiétante. A l'ombre sépulcrale des mausolées de Greyfriars Churchyard, pas un d'entre eux ne trahit la présence d'une silhouette drapée de floue, jaillissant à l'orée d'un portail ancestral ; et les onze coups, sonores, qui ébranlèrent les tombes captives de lierre humide, dissimulèrent dans leur écho le craquement sonore de son transplanage.
En ces temps troubles et par simple mesure de précaution, la jeune sorcière avait pris soin de noyer le bruit de son arrivée au son des cloches de Greyfriars - et de parer son corps entier de transparence en usant de Désillusion. Décochant en informulé la prudence nécessaire d'un vaste Hominum Revelio, Rhiannon ne leva l'enchantement qui la voilait aux regards importuns qu'une fois certaine qu'il n'en vagabondait aucun au hasard de la rue. Sitôt qu'elle sentit le sort se dissoudre, et comme un filet bienvenu d'eau chaude dévaler sa silhouette menue, elle rangea précieusement sa baguette dans les poches magiquement approfondies de sa capeline.
Une brise en souleva les pans d'encre tandis qu'elle faisait volte-face, arpentant rues et dévalant venelles, ne laissant pour vestige de son passage dans les tortueux mystères d'Edimbourg que les éclaboussures au creux de flaques qu'elle dérangeait à l'impatience de ses bottines. Tout autour d'elle voltigeaient des silhouettes auxquelles elle ne prêtait nulle attention, amateurs de frisson suivant le parapluie d'un guide qui leur contait les sinistres légendes hantant la ville au coeur, peuple du quotidien qui se hâtait vers la chaleur de quelque taverne accueillante pour oublier la méchante petite pluie qui glaçait jusqu'aux moindres impasses.
Mouchetée de pluie comme de tâches de rousseur, Rhiannon parvint finalement aux portes convoitées du Musée Sorcier d'Edimbourg, en capturant d'un œil trop amoureux pour n'être pas celui d'une passionnée les gravures chantournées qui en ornaient les vantaux colossaux. Combien de fois déjà avait-elle franchi la lisière de ces battants sans trop savoir quelle merveille l'attendait au détour du musée ? Elle en savait pourtant jusqu'au moindre détail, connaissait les détours que d'autres moins ardents n'auraient pas emprunté, mais le Musée avait toujours pour elle quelque trésor recelé au détour d'une cimaise qu'elle n'aurait jamais soupçonné.
Ce soir pourtant n'était comme aucun autre. Rhiannon avait obtenu du professeur Poldark une invitation au vernissage des collections éclectiques, encore jamais dévoilée au grand public, que l'esthète et amateur d'art Gladius Galbraith avait façonnées au fil des ans. Quelques rares oeuvres seulement avaient au fil des ans filtré du sein de son manoir, pour ne rejoindre des expositions que sous le sceau mystérieux d'un prêt, provenant d'un collectionneur privé. Gabraith était connu pour la richesse de ses comptes à Gringotts et pour l'imparable flair qu'il possédait, pour dénicher les oeuvres les plus convoitées comme les plus nébuleuses.
Varkam était les deux, aux yeux de Rhiannon.
Tandis qu'elle dégrafait l'attache qui jusque là maintenait sagement sa capeline, elle se fraya un chemin dans la foule déjà abondante que la salle accueillait. Le ruban gris qui ceignait ses cheveux perdait ses méandres soyeux dans le roux sombre d'une chevelure qu'elle avait relevée, pour laisser ses iris s'emparer à leur guise des oeuvres d'art mises à l'honneur ce soir. Du bout de lèvres qu'elle avait juste ombrées d'une touche de rouge, l'historienne immisçait la fraîcheur de sa vingtaine au beau milieu de vieux amateurs qui ne comprenaient de l'art que le prix qu'y fixaient les enchères. D'un regard avide elle parcourut les environs, redoutant d'y trouver ce qu'elle y cherchait et le désirant à la fois plus que tout au monde. Dessinée sur sa clavicule, la tâche de naissance du clan Slowburn semblait la démanger comme pour quémander les réponses que seul Varkam détenait.
Elle murmurait une litanie qu'au milieu de l'incessant bourdonnement de conversations, elle demeurait seule à entendre ; passant à pas de chats devant l'incroyable rassemblement d'oeuvres, elle en chuchotait les cartels à voix basse, sans qu'aucun fasse écho à celui qu'elle cherchait. La galerie se ponctuait de statues hiératiques dans des déclinaisons de marbre et de porphyre, en vitrine présentant des chefs d'oeuvre d'orfèvrerie en filigrane et repoussé, en peintures historiques et crépuscules encadrés d'or, mais elle scrutait et parcourait la salle avec l'ardeur désespérée de celle qui comprend peu à peu qu'elle ne l'y trouverait pas.
Une aura d'espoir et de résignation mêlées semblait coller à ses bottines, embraser son regard, tarir ses chuchotements, tandis que seul et unique nom qu'elle voulait retrouver lui échappait une fois encore, sans pourtant cesser de tambouriner à ses tempes comme l'unique refrain qu'elle saurait chanter... Varkam. Son nom tournait inlassablement dans son esprit tandis qu'elle s'asseyait sur l'une des banquettes émaillant le centre de la galerie, aux côtés d'un autre visiteur.
Assis au beau milieu d’une vaste salle d’exposition, V. captait les conversations des visiteurs. Sa seule compagne ce soir était sa canne blanche calée contre l’épaule. Il avait laissé sa chienne à l’hôtel et supposait son frère occupé à courir les rues d’Edimbourg… Seul, mais pourtant loin d’être esseulé. Il appréciait cette atmosphère. Les murmures des tableaux, l’odeur du vernis et du bois, la valse des pas sur le plancher. Un peu plus jeunes lui et Soledad partageaient cette boulimie. Il y voyait encore, elle le trainait de vernissage en vernissage. Ils rencontraient du beau monde, ils s’étaient même essayés à la peinture, bardant les murs de toiles dans leur petit appartement sous les combles de Paris. Une belle époque. Belle mais révolue, cette histoire était loin derrière lui et n’avait laissé qu’une empreinte de nostalgie malvenue. Cela faisait un peu plus d’une semaine que V. et son frère étaient en Écosse. Un séminaire organisé par le collectif des médiums du Royaume-Uni rassemblait les oiseaux de mauvais augure pour faire le point sur les prédictions de l’année. À l’heure du thé, tous s’écharpaient quant à l’interprétation de leur fond de tasse. V. n’avait que peu de patience pour ces meeting, il ne prenait pas part aux polémiques et ne faisait qu’acte de présence, profitant du tout frais payé pour s’offrir des vacances loin de Londres et de Bristol. Ce soir était le dernier. Au terme de nombreuses réunions virulentes, tous s’étaient séparés enorgueillis et certains d’en savoir plus que les autres. Au moins, le musée sorcier d’Edimbourg offrait un point final agréable. La présence du non-voyant pouvait interpeler les amateurs d’art, surtout sachant qu’on ne se procurait pas une invitation comme on achetait une bièraubeurre au Chaudron Baveur… Faire partie d’un collectif avait ses avantages.
Alors que, les yeux fermés, il révisait mentalement le chemin du retour qui le mènerait à son hôtel, une âme silencieuse s’assit non loin de lui. Depuis sa cécité, V. n’avait pas développé de pouvoirs extrasensorielles, il captait cependant avec justesse certains comportements. La personne qui avait pris place à ses côtés était loin d’être sereine. Il y avait de l’électricité dans l’air. Quelques minutes passèrent, il était rare qu’il soit d’humeur à faire un brun de causette et son intention n’était pas de déranger le visiteur à sa contemplation.
« Puis-je solliciter votre bonté d’âme pour me décrire l’oeuvre qui se trouve face à nous ? » Demanda t-il d’un ton égal en ouvrant les yeux.