A cette heure-ci, le Bureau était encore paisible. Etrangement endormies, les différentes parties de l’open-space qui composaient le cœur d’activité de la Sécurité Magique n’abritaient que quelques rares lève-tôt encore discrets, attelés à leur travail dans un calme studieux. Des courageux héros prêts à faire une croix sur leur doux sommeil pour lutter contre le crime, qui méritaient très certainement un hommage à la hauteur de leur investissement.
Ce n’était pas le cas de tous en ce début de semaine. La double-porte du sous-sol consacré aux affaires classées et aux vieux dossiers du Département des Aurors s’ouvrit lentement pour laisser passer une silhouette encapuchonnée - dont quelques mèches brunes en bataille s’échappaient - en rangers de cuir élimées. Seule une acharnée comme Tara Blackwell, car à en juger par son apparence, ça ne pouvait être qu’elle, pouvait avoir passé la moitié de la soirée dans la salle des archives. En vérité les plans de la jeune femme ne s’étaient juste pas déroulés comme prévu. Après un simple verre dans un bar qui s’était de fil en aiguille mué en une beuverie conséquente la faisant émerger d’un concours de shots de liqueur de Mandragore, la brune s’était retrouvée guidée par un instinct complètement absurde lui suggérant que la meilleure chose à faire à quatre heures du matin était très certainement d’aller travailler sur le cas de ses parents. Avec un esprit aussi éclairé et lucide que le sien à cette heure de la nuit et avec un tel taux d’alcoolémie, nul doute qu’elle allait faire des ravages.
Ses embellies avaient parfois l’allure de lubies dignes de la paranoïaque qu’on décrivait tout bas. Elle préférait se dire que c’était sa conscience professionnelle qui la titillait à des moments inopportuns, voilà tout. Tara se passait volontiers des commentaires et elle fut presque ravie de constater que ses collègues n’étaient pas encore nombreux ce matin, ce qui lui laissait une petite longueur d’avance pour faire deux choses : émerger de son demi-sommeil, et surtout, foncer droit sur la machine à espresso magique qui fumait encore, prête à lui délivrer le breuvage des dieux. Le pas de l’écossaise s’accéléra, furtif, mais c’était trop tard. Quelqu’un l’avait vue. « SALUT SALUT LA COMPAGNIE ! » La voix bien trop forte et joyeuse d’Hubert rata de peu de lui faire renverser sa propre baguette. La jeune femme renifla à peine tout en ignorant pleinement l’esprit qui, lui, l’avait pour le coup bel et bien remarqué et ne comptait pas la lâcher. L’ectoplasme tournait autour de la jeune femme au risque de lui donner la nausée, son visage trahissant complètement son enthousiasme hilare typique de celui qui avait affreusement besoin d’attention. « Oh, Tara, quelle mauvaise mine ! Tu sais c’qui te remonterait le moral ? Une bonne blague d’Hubert ! C’est une Vélane, un Vampire et un Centaure qui sont sur le Chemin de Traverse, et là – » Tara rajusta les épaisses lunettes de soleil qui camouflaient partiellement la gueule de bois lisible dans ses yeux et renfonça sa tête dans la capuche de son sweat-shirt en bougonnant. « Hubert ? La ferme. » Et pour couper court à ses chouinements, la brune actionna d’un coup de baguette la machine à café qui démarra en trombe, émettant des crachottis et un tel boucan du Diable qu’Hubert, vexé, tourna ses talons flottants dans l’air pour s’éloigner. Il devait déjà être occupé à la maudire sur cinq générations, ou peut-être à blâmer son manque évident d’humour. Tant pis pour elle.
Ses mains s’emparèrent du long café noir qu’elle avait déjà hâte de boire jusqu’à la dernière goutte. Se traîner jusqu’à son bureau lui demanda un effort qu’elle était prête à fournir tant que cela impliquait par la suite la paix pour elle. Là, enfin, le café lui brûla la gorge et réveilla tout son être encore engourdi.
Un bruit de pas derrière elle lui indiqua que sa solitude se terminait ici. Le son d’une veste en cuir qui chuinte, les échos lointains d’une voix grave qu’elle écouta sans comprendre. Tara n’eut pas besoin de vérifier par le moindre coup d’œil pour savoir que c’était Valentine qui venait de passer à côté d’elle pour s’installer comme il le faisait chaque matin. L’odeur de ses cigarettes suffisait à confirmer l’identité de son voisin, et elle ne quitta même pas son habit de lumière pour marmonner, en guise de bonjour. « Je déteste le lundi. » Sa voix enrouée lui rappela la quantité de clopes fumées en si peu de temps. Ce qui n'empêchait pas son cerveau d'en réclamer un peu plus. Est-ce que Val’ était là hier soir, lui aussi ? Il y avait des chances étant donné qu’ils finissaient bien souvent par se recroiser lors de leurs virées quand ils n’étaient pas déjà ensemble. Avec un peu de chance, il se souviendrait mieux qu’elle de sa propre soirée … et nul doute que cela lui donnerait l’occasion de se moquer d’elle.
Sa cigarette grésillait encore lorsqu'il l'écrasa d'un geste pressé sous sa chaussure, incrustant le bitume d'un nouveau mégot aplati parmi tous ceux qui y traînaient déjà. Londres se réveillait à l'aube d'un matin morne, végétant dans une grisaille fade qu'aucun sourire d'aucun passant ne se dévouait à éclairer. L'Auror ne faisait pas exception. Visage fermé et cernes aux yeux, il n'avait résumé le monde ces tous derniers instants qu'à la cigarette salvatrice qu'il savourait, juste à l'entrée du Ministère, avant de se jeter dans le tourbillon d'une nouvelle journée.
Ce matin-là, Trevelyan s'était réveillé dans le désordre de son lit, tout habillé, sans avoir le moindre souvenir d'être revenu chez lui après avoir passé la soirée en compagnie de Tara. Des vêtements de la veille il n'avait gardé que sa veste en cuir et le béret fidèle qu'il avait en cet instant même vissé sur la tête - mais même la douche qu'il avait prise ne lui avait pas suffi pour s'extirper pleinement de la sensation vaseuse qui lui collait trop à la peau. Il n'avait pourtant pas souvenir avoir tant bu que sa mémoire en ait pris un coup - et se connaissait assez bien pour savoir qu'un affreux mal de tête se serait occupé de lui vriller les tempes si ça avait été le cas. Peut-être qu'il se faisait juste vieux. Considérant l'idée d'un air désabusé, l'Auror observa s'évanouir dans l'air ambiant les toutes dernières volutes qu'il avait exhalées avant que de résigner à entrer.
Rajustant le béret sur son crâne, il carra les épaules et s'engouffra dans la foule empressée qui submergeait le hall du Ministère de la Magie, allant à contre-sens de l'obéissante fourmilière en dédaignant l'exemplaire flambant neuf de la Gazette qu'un vendeur lui tendit. Slalomant entre quelques crétins de la Brigade, il salua brièvement O'Leary du département des Sports, Buchanan des Oubliators, adressa un faux sourire figé au regard noir qu'un de ses supérieurs lui lança, et parvint finalement à l'ascenseur en évitant quelques notes de service surexcitées.
Tandis qu'il pénétrait dans l'ascenseur, l'Auror appuya d'un geste vif sur le bouton du deuxième niveau en voyant se précipiter vers lui Fenton Warleggan, abruti supérieur de la Brigade qui avait eu le malheur de naître avec un nom de tête à claques, d'être con comme Hubert et d'avoir trop regardé Sienna lors d'une soirée au Ministère avant de comprendre qu'elle l'accompagnait, lui. Se doutant fortement que l'abruti voulait qu'il retienne l'ascenseur, Trevelyan retint la porte puis jeta un coup d'oeil dans la cage vide qu'il occupait avant de s'adosser à l'une des parois et de relancer la machine.
- Désolé, plus de place.
L'engrenage s'ébranla, et il haussa un sourcil le mettant au défi de s'énerver comme un imbécile devant le restant du Ministère. Riant pour lui-même de la tête que tirait l'autre, Valentine émergea de l'ascenseur de bien meilleure humeur qu'il n'y était entré. Le Bureau était encore calme, et quelques acharnés seulement s'étaient déjà replongés dans le labeur obscur de quelque inextricable course au mage noir. Le silence ne se troublait que du froissement des pages que d'autres Aurors consultaient, et d'un sort murmuré pour réchauffer un café oublié que l'un d'eux prononça sur sa droite tandis que Trevelyan regagnait son bureau.
Un grand sourire aux lèvres, il constata que Tara occupait déjà le sien. La voix rauque qui émergea de dessous sa capuche suffit à expliquer la présence de lunettes de soleil en plein début de journée, et les épaules de Valentine se secouèrent d'un petit rire tandis qu'il sortait un papier plié en quatre de sa veste.
- I know you do, kiddo.
Il s'apprêtait à révéler le contenu du document qu'il souhaitait lui montrer lorsque d'un amoncellement de dossiers surgit le fantôme d'Hubert, que Trevelyan accueillit avec une grimace blasée.
- OH ! TREVELYAN !
- Ta g...
- C’est une Vélane, un Vampire et un Centaure qui sont sur le Chemin de Traverse, et là...
Levant les yeux au ciel, l'Auror tapa du plat de la main sur le rebord de son bureau et interrompit le fantôme en se donnant un air admiratif que l'exaspération noyant ses iris suffisait à invalider.
- Non mais c'est pas fini ! se défendit le fantôme, pressé de pouvoir faire montre de son talent.
- Si si. Si si c'est fini, je t'assure. Tiens, j'en connais un qui adorerais que tu la lui racontes deux-trois fois pour bien commencer la journée, ça lui fera plaisir fit-il en montrant de sa main gantée de cuir la silhouette de son stagiaire, qui venait tout juste d'arriver.
Confirmant ses dires auprès du fantôme d'un ample hochement de tête, Trevelyan observa le revenant s'éloigner d'eux avec un soulagement notoire. Rapprochant sa chaise de celle de Tara, et ne se retenant qu'à grand-peine de ne pas sourire à la vue de la dégaine qu'elle avait ce lundi matin, il posa soigneusement devant elle la petite feuille qu'il avait extirpée de sa poche intérieure. Le visage de l'Auror devint soudain sérieux, empreint de sa gravité des heures cruciales.
- Bien, j'ai besoin de ton avis sur un dossier. Un truc à décrypter - j'y ai passé la nuit mais je pense que t'y arriveras mieux que moi.
Minutieusement, il déplia les pans du parchemin et révéla aux yeux planqués derrière les lunettes noires un superbe dessin qu'elle lui avait dédié la veille au soir, en étant un peu trop imbibée. Lui-même était représenté dessus, ainsi que Lysander et Tara, regardant les sourcils froncés une patate déclamant "Je m'appelle Hubert" dans une bulle de dialogue. La signature tremblante de son ancienne apprentie achevait le chef d'oeuvre en bas à gauche de la feuille de papier.
- Tu m'expliques ?
Le sérieux fondit de son visage comme neige au soleil tandis qu'un rire sonore et rugissant secouait le Bureau des Aurors.
Arpentant les couloirs carrelés du Niveau 2, Selwyn arborait le visage des bons jours. Si quelqu’un ne le connaissant pas n’aurait pas su voir en quoi, la plupart des employés qu’il était habitué à côtoyer avaient appris à déchiffrer son visage dans les grandes lignes. Ces yeux perdus au loin, ces commissures des lèvres à peine remontées, donnaient à l’Auror un air de Joconde au regard pourtant fixe, lancé droit devant.
Lysander Selwyn avait beau avoir hérité de l’attitude qui se voulait noble et sophistiquée de sa famille, il était en fait un homme simple. Un bon petit déjeuner en compagnie de son cher et tendre avait suffit à ce que la joie de vivre prenne la place de son humeur maussade des jours de pluie, qui signifiaient systématiquement un réveil à 6h30 sur la mélodie des lamentations de leur Augurey de compagnie.
Ainsi, une part de tarte à la citrouille, un délicieux chocolat chaud aux épices et quelques gaufres au sirop d’érable accompagnés du sourire endormi d’un Harmodios MacDougal aux cheveux ébouriffés avaient permis à l’Auror de sortir de leur immeuble avec un bien-être qui, s’il ne se reflétait que légèrement sur son visage, était bel et bien là. Et ça faisait du bien. La routine d’un Auror était bien trop souvent marquée par la paranoïa et une attention portée au moindre détail.
Ce matin-là, Lysander était comme un Auror flambant neuf : ses dernières affaires avaient été classées avec plus ou moins de succès, il n’avait pas eu de nouvelles des États-Unis depuis assez de temps pour ne même plus y penser et, cerise sur le gâteau, son week-end en amoureux au Danemark approchait à grands pas. C’était donc un Selwyn rêveur qui arpentait les rues de Londres en direction des toilettes publiques hors-service où les employés du Ministère, chargés de la maintenance comme hauts diplomates, accédaient au somptueux atrium.
Là, l’Auror continuait à poursuivre sa routine comme un jour normal, au détail près qu’il s’attardait volontiers pour échanger quelques phrases supplémentaires avec l’employé chargé de vérifier sa baguette et d’autres fonctionnaires du Ministère qu’il avait l’occasion de croiser chaque matin. Vraiment, cette journée de boulot commençait de la meilleure des façons.
Ce sentiment de légèreté suivit Lysander comme son ombre jusqu’au Bureau des Aurors où il entra la tête haute, comme d’habitude. “SELWYN !”
Lysander marqua un infime arrêt qui dura une petite fraction de seconde avant de reprendre sa marche sans faire attention à l’esprit qui le suivait en glissant au-dessus du sol, espérant qu’il le laisserait tranquille lorsqu’il atteindrait son bureau. Hubert Gaemes, le fantôme du Bureau, avait beau être aussi insupportable qu’un esprit frappeur (quoique moins bruyant et inconvenant), il semblait éprouver un minimum de respect pour la profession d’Auror (même s’il n’avait jamais été possible de savoir s’il en avait vraiment été un) et laissait volontiers les victimes de sa hantise travailler (même s’il ne parvenait pas à rester silencieux plus de 15 minutes, mais l’intention y était parfois).
Il restait cependant une nuisance, surtout pour Lysander qui avait immédiatement regretté l’ambiance plus calme et propice au travail du Département des Aurors du MACUSA. Aussi, l’Auror s’arrêta net devant l’un des bureaux de la pièce et fit volte-face pour plonger son regard dans l’argenté de celui de Hubert. Alors, contre toute attente, Lysander sourit. Pas sarcastiquement, mais en remontant les coins de ses lèvres en gardant timidement sa dentition derrière ses lèvres. C’était un sourire tout à fait normal. Le brun dit alors : “Bonjour à toi aussi Hubert. Que me veux-tu ?”
Visiblement décontenancé par les manières de Lysander à son égard, Hubert commença à balbutier : “Ah, euh, bah, euh, héhé, eh bah… J’ai une blague !” - Comme tous les matins.” répondit l’Auror en conservant son attitude bien plus polie que ce à quoi il avait accoutumé l’esprit. - “T’as l’air opé’ pour l’entendre ! Ça fait plaisir de te voir te dérider enfin un peu Selwyn” s’exclama Hubert en regagnant presque immédiatement son enthousiasme. “Alors c’est une Vélane, un Vampire et un Centaure qui sont sur le Chemin de Traverse et- - Mais ce n’est pas très logique”, fit remarquer Selwyn en arborant un air songeur criant de sarcasme. “Il ne peut pas y avoir de Vélane sur le Chemin de Traverse, si loin de la Bulgarie, et un Centaure n’irait pas s’aventurer en dehors de son territoire… - Non mais attends laisse-moi finir” s’indigna le fantôme. “Et donc, ils sont sur le Chemin de Traverse et- - Est-ce qu’il fait nuit du coup ?” coupa à nouveau Lysander, dont le sourire amusé n’était plus seulement sarcastique. “J’espère que oui pour le Vampire… - Mais attends ça fait partie de la chute !" protesta Hubert, de plus en plus agacé. "Bon laisse tomber, j’irais la faire à des gars de la Brigade pendant leur pause clope.”
Lysander suivit le revenant du regard tandis que ce dernier s’éloigna mi-déconfit mi-énervé. Satisfait, il se tourna et salua Tara Blackwell (à qui appartenait le bureau devant lequel ils s’étaient arrêtés) et fit un signe de tête à Trevelyan Valentine qui se trouvait aux côtés de son ancienne apprentie. “Joli portrait.” lança-t-il avec une moue légèrement moqueuse sous un sourcil arqué. Il rejoignit son bureau, un peu plus à l’écart de celui de Valentine, mais assez proche pour pouvoir tenir une conversation à volume normal. “Il est de qui ?” demanda-t-il en s’asseyant derrière la table parfaitement rangée.
La voix de Valentine avait quelque chose d’à la fois rassurant et inquiétant. Après son entrevue avec le fantôme le plus insupportable de toute la contrée britannique qu’il venait de renvoyer à ses pénates, la présence de son ancien mentor était plus que bienvenue en ce début de matinée chaotique. Et malgré tout, sous son air parfaitement Trevelyanesque, demeuraient les signes caractéristiques et avant-coureurs de celui qui savait. Oh oui, ce sorcier-là n’était pas tout à fait dénué d’intentions, l’ombre de son sourire et ses paroles le confirmaient alors qu’il fouillait dans les poches de sa veste pour en extirper un papier. Son mentor avait quelque chose en tête, quelque chose de particulièrement précis et établi pour justifier tous ces petits signaux que Tara captait sans être tout à fait en état de comprendre.
Tara daigna enfin lâcher quelques secondes sa tasse fumante pour cesser de s’abreuver de caféine – à ce rythme, une perfusion aurait été plus avisée pour son cas – et rapprocha sa chaise du bureau où Valentine souhaitait déplier le mystérieux document qu’il tenait tant à lui montrer. En dépit de la gueule de bois qu’elle se payait, l’écossaise voyait toujours sa curiosité piquée à vif dès que la moindre miette de défi se présentait à l’horizon. A mile lieues de deviner de quoi il s’agissait, la jeune femme vit tout le sérieux de son ancien maître d’armes exploser en miettes lorsque le dessin, celui-là même qu’elle avait péniblement réalisé hier soir sur le bord du comptoir du bar, se dévoila sous ses yeux fatigués. « Très drôle. » Concéder la victoire à son aîné lui était difficilement réalisable, mais les commissures plissées de sa bouche trahissaient l’amusement spontané de cette blague qui avait bien trop pris. De l’index elle pointa la silhouette filiforme du bonhomme censé représenter le quadragénaire. « Tu sais que des gens paieraient très cher pour ça ? » Au moins trois ou quatre Mornilles, ce qui était déjà un prix considérable quand on prenait connaissance de l’état de l’individu auteur d’une telle peinture de guerre. Un soupir passa alors que sa main effaçait péniblement de son visage le sourire déjà résigné qui s’était furtivement gravé sur ses lèvres. « J’imagine que si je te demande de le jeter au feu tu ne le feras pas ? » Non, évidemment. C’était quasiment aussi stupide que provocateur de demander une telle chose. Si quelqu’un ici se chargeait bien de collectionner chaque pièce d’instant honteux sur elle pour le lui ressortir avec malice, c’était Valentine.
L’arrivée de Lysander n’interrompit pas davantage la petite séance de moqueries – gentilles – sur les talents artistiques de Tara. « De moi. » répondit-elle en guise de salut avec la plus grande confiance en elle. Face au regard sûrement empli de perplexité – et peut-être teinté de jugement ? – du Selwyn, la jeune femme haussa les épaules, prête à jouer la carte de l’honnêteté totale. « Eh oui … Auror le jour, artiste peintre la nuit. » Puisqu’elle avait été démasquée, autant assumer jusqu’au bout son don très bien dissimulé. D’un coup de baguette, elle appela à eux la cafetière qui diffusa sur son passage son agréable odeur corsée. « Du café ? »
Le reste du Département arrivait progressivement, le flux de sorciers s’intensifiant. Chose normale s’il en était, à la différence près qu’en même temps que d’autres Aurors partaient s’installer ou se saluer, plusieurs missives d’un violet intense traversèrent les airs, l’une d’entre elle se jetant quasiment dans les mains de l’Auror américain. « Oh-ho. » Alors que la cafetière restait en suspens au dessus des tasses à moitié-remplies, la brune fit atterrir l’objet d’un mouvement bref avant de scruter les personnes présentes aux environs. Mine de rien, le brouhaha ambiant témoignait d'une affluence plutôt peu coutumière. Il y avait même quelques brigadiers magiques dans l'assistance. « Autant de monde à cette heure-ci, ça relève de l’anormal. » L’air suspicieux de Tara s’accentua tandis qu’au loin, elle reconnut le visage fermé du Directeur du Bureau s’avancer du bout du couloir d’entrée, baguette en main pointée sur sa propre gorge. Il s’apprêtait très certainement à faire une allocution inhabituelle pour tous les agents du Ministère, ce qui n’augurait généralement rien de bon.
« Qu’est-ce que ça dit ? » demanda une Tara légèrement soucieuse, son regard clair braqué sur les deux anglais qui lui faisaient face. Au vu de ce qui semblait se tramer dans l'ombre, de l'air grave de leur chef et cette atmosphère progressivement électrique qui parcourait chaque nouveau sorcier ayant lu la note de service qui venait de tomber, l'idée qu'un incident ait pu se produire dans le Monde Magique était la seule qui trouvait un sens à l'esprit de la sang-mêlée. Elle espérait avoir faux, mais elle alla jusqu'au bout de sa pensée à haute voix. « Ca concerne les moldus ? »