La vieille femme déposa un grand plat de gâteaux gallois sur la table de la salle à manger avec un sourire chaleureux. Logan fixa le tas de pâtisseries avec un mélange d’appétit nouveau et de satiété extrême dont témoignait la taille de son estomac, qui semblait tiré au point d’exploser. Sa grand-mère lui fit signe de se servir avec un sourire si encourageant qu’il traduisait instantanément la volonté de la vieille femme de faire plaisir à son petit-fils. Aussi, le ventre encore plein du copieux plat principal, Logan se saisit de l’un des gâteaux et mordit dedans, avant d’afficher sur son visage l’expression de sa satisfaction gustative. Sa grand-mère gloussa :
“
Tu n’as jamais su résister à mes gâteaux gallois. Même quand tu avais deux ans tu essayais de les prendre des mains de ton père.”
Logan eut un petit sourire gêné. Entendre sa grand-mère parler de lui enfant suscitait toujours en lui un mélange d’émotions contraires. D’un côté, entendre sa grand-mère parler avec une telle tendresse du temps passé lui faisait chaud au coeur, mais savoir que ce passé était déjà aussi lointain l’emplissait également d’une nostalgie teintée de mélancolie. Si ses petits frères se moquaient (toujours sans méchanceté) de la façon qu’avait Granny Dith de répéter à chacune de leurs entrevues les mêmes anecdotes quant à leur enfance, Logan se gardait toujours de lui faire remarquer son habitude. Aussi, comme il s’y attendait, sa grand-mère se lança dans un monologue où elle semblait vouloir rappeler à son petit-fils toute sa biographie.
“-
Je me souviens quand tes parents t’ont présenté à nous, commença-t-elle en le regardant droit dans les yeux avec la même tendresse qu’il avait pu y déceler depuis sa plus petite enfance.
Tout petit, avec ta petite touffe de cheveux sombres et ton visage endormi. Evidemment on n’a pas pu te voir tout de suite après la naissance, vu que ta mère a préféré accoucher dans cette clinique à Londres…-
Sainte-Mangouste, rectifia Logan entre deux bouchées.
-
Oui, voilà, c’est ça, Sainte-Mangouste ! On a du attendre que vous retourniez à Newcastle pour qu’on puisse te voir. Qu’est-ce qu’il était bien cet appartement, tout près du centre-ville en plus… Mais bon, il a fallu faire de la place quand David est arrivé à son tour, et puis elle était plus isolée, c'était bien pour ton âge.-
De toute façon, vu les bêtises qu’on a faites David et moi, Papa et Maman auraient été vite inculpés pour violation du Secret Magique si on était restés là-bas, précisa Logan.
-
Bien vrai ça, intervint le grand-père de Logan, qui était installé dans son fauteuil en face de la cheminée, en train de fumer sa pipe.
Jamais vu des gamins aussi turbulents, et j’ai été dans la police.”
Logan pouffa tandis que sa grand-mère reprenait :
“-
C’est vrai que vos séjours nous faisaient faire du sport. Tu te souviens quand les voisins nous ont demandé pourquoi des feux d’artifice fusaient de notre cheminée ? Le mal qu’on s’est donnés pour faire passer ça pour quelque chose de totalement normal.-
Je crois que le pire reste quand Lolo a fait tournoyer le tourniquet du parc pour enfants à la vitesse d’un manège à sensations. Et encore, là au moins on pouvait blâmer un vice de fabrication.Logan but une gorgée de café en ayant l’air d’avoir envie d’être ailleurs. Ce dont il se souvenait surtout, de cette époque, c’était que chaque soir, il attendait à tout prix le retour, souvent tardif, de sa mère de son travail. Il était toujours très inquiet pour sa mère, car il savait qu’elle exerçait un métier dangereux. Il se souvenait aussi des collègues de sa mère à la mine parfois patibulaire qui franchissaient le perron de leur deuxième maison, dans le Yorkshire, comme l'Auror Valentine.
Après un rapide coup d’oeil à sa montre, l’ancien Gryffondor se leva et, la mine désolée, s’excusa auprès de ses grands-parents :
“
Désolé il faut vraiment que j’y aille, je suis attendu.”
Après avoir promis de revenir vite et affronté les dizaines de bisous mitraillés contre sa joue par sa grand-mère, le sorcier effectua un tour sur lui-même et disparut dans un *pop* caractéristique du transplanage.
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“-
T’as toujours été un casse-cou, ça m’étonne pas de toi, ricana Zoey en sirotant sa Guiness après que Logan lui ait rapporté les anecdotes que ses grands-parents lui avaient rappelé plus tôt. “
Puis de toute façon après l’épisode des Feuxfous Fuseboums dans le Bureau des Aurors je crois que tu parviendras plus à me surprendre.-
Est-ce qu’on pourrait éviter de reparler de cette événement ? demanda Logan d’un air gêné après s’être étouffé avec le contenu de son verre à l’évocation de ce triste jour.
Puis t’es gonflée toi, j’étais sage à l’école moi !-
Pardon ?! s’exclama Zoey d’un air interloqué.
Elle rejeta l’une de ses tresses en arrière comme pour se préparer à un combat, prit une inspiration :
-
Est-ce qu’il faut que je te rappelle, Môsieur, que t’as fait perdre 70 points à Gryffondor rien qu’aux deux premiers trimestres de troisième année, tout ça pour plaire à des gorilles plus âgés qui te demandaient de changer les oreilles des premières années en trompettes ?-
On fait tous des erreurs O.K. ? grogna le jeune sorcier en terminant sa pinte, un peu honteux.
-
Ou alors cette fois en deuxième année ou t’as aidé tes potes de troisième année à balancer de la cervelle de crapaud au plafond de l’un des donjons ?-
Ça a eu le mérite d’occuper Rusard ! Puis t’es pas innocente non plus !” se défendit Logan en faisant signe au serveur : “
La même chose s’il vous plaît.”
“-
Moi au moins je me suis jamais fait prendre, se défendit Zoey avec un sourire malin.
-
Ça dépend par qui”, répondit instinctivement Logan avec un sourire satisfait qui devint presque aussitôt une grimace de douleur quand la chaussure renforcée de Zoey vint rencontrer son tibia.
“
P’tit con va.” commenta Zoey avec une moue méprisante qui se changea rapidement en un sourire amusé lorsque Logan ajouta entre deux massages de tibia : "
Worth it."
Logan noya la douleur qui irradiait de son tibia dans la pinte nouvellement remplie. Reparler de Poudlard lui inspirait un sentiment étrange. D’abord il y avait la honte, celle d’avoir passé ses quatre premières années à suivre les directives d’une bande d’idiots juste parce qu’ils étaient plus âgés. Puis il y avait la révolte quand il repensait à sa cinquième année : le régime de la Grande Inquisitrice qui niait le meurtre de Cedric Diggory, les marques “Je ne dois pas utiliser ma baguette magique durant le cours de Défense Contre les Forces du Mal du professeur Ombrage.” qui s’inscrivaient un ou deux fois par mois, le harcèlement contre Potter, les BUSE, la guerre ouverte contre ses anciens “amis”.
Puis il y avait la sixième année, où il arrivait enfin à se faire de vrais amis comme Shae Viridian, où il se sentait enfin à sa place (merci le Club de Slug), à une époque où l’espoir semblait sombrer dans un océan de ténèbres menaçantes. Pourquoi avait-il fallu qu’elle se termine tout aussi horriblement que les deux précédentes ? Il se souvenait de l’enterrement de Dumbledore, où il avait lutté de toutes ses forces pour rester fort, face à ses frères, face à Zoey, face au monde. Et puis il y avait la septième année. Rien que d’y repenser, il ressentait de nouveaux picotements sur le torse et le long de la colonne vertébrale.
Cette année-là, il s’y replongeait à chaque fois, le regard vide, l’esprit de retour dans ce château devenu si froid, si austère. Zoey dû deviner où il se trouvait réellement, car elle lui saisit délicatement la main pour le faire revenir :
“-
Hé, c’est passé. C’est terminé maintenant. On est là, en vie, et c’est ce qui compte... murmura Zoey, à la fois compatissante et inquiète.
-
C’est juste que…-
Je sais, l’interrompit-elle avec une voix douce mais ferme.
En plongeant son regard dans le sien, Logan se rappelait à quel point elle lui avait manqué, cette année-là. A quel point il se sentait coupable et impuissant de ne pas pouvoir l’aider, elle, la née-moldue contrainte à la clandestinité. La peur qu’il avait, chaque nuit, d’apprendre sa mort d’une manière ou d’une autre. Et même quand il ne pensait pas à elle, et qu’il voyait sa mère mourir au cours de sa fuite en rêve, il réalisait à quel point il était seul, dans son lit, sans le contact de sa peau. Aucun doute, il l’avait dans la peau, même s’il ne l’avouerait jamais. Pas en étant sobre en tout cas.
“
Une autre !” demanda-t-il au serveur.
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Le chaos régnait autant dans le château que dans la tête du Gryffondor. Potter dans le château, sa correction du matin même qui lui cinglait encore les omoplates, Rogue parti, la Résistance qui s’élevait contre l’oppresseur. Le sang de Logan bouillonnait. Il allait se battre. Le savoir acquis auprès de la nouvelle Armée de Dumbledore allait lui être indéniablement utile. Toute cette année passée à protéger ses frères du joug des Carrows, à risquer la torture pour rejoindre la Résistance, à maintenir une façade imposante et forte alors qu’il était sur le point de craquer, à maintenir un semblant de vie normale dans toute cette horreur. Putain, il avait même été jusqu’à intégrer l’équipe de Quidditch juste pour pouvoir garder un exutoire qui pourrait lui permettre de garder un semblant de santé mentale.
Puis, alors qu’il venait d’être assuré que tous les élèves mineurs, ses frères compris, venaient d’être évacués, le grondement de la bataille débutait. Une seconde plus tard, il était lancé, aussi féroce et désespéré qu’un fauve en plein combat contre une meute déchaînées. A chaque inspiration, un sort. A chaque expiration, un sort. Des cris retentissaient, des incantations retentissaient comme des hurlements de dernier espoir, des sorts ricochaient contre les armures qui elles-aussi se battaient avec ferveur dans un tonnerre de grincement. Des débris volaient, des éclats de verre fusaient à travers les airs, du sang giclait. Puis il se rendait compte que Shae, son amie qu’il avait détesté pour ne pas se révolter, se battait à ses côtés. Ils étaient là, parmi tant d’autres, à lutter pour leur liberté et leur survie. Sang-mêlés, sang-purs, nés-moldus.
Plusieurs fois, il sentit des maléfices l’effleurer, déclenchant une nouvelle poussée d’adrénaline à chaque moment où lui, jeune sorcier à peine diplômé, réalisait qu’il venait de frôler une mort certaine. Puis, soudain, après une éternité, la voix sifflante et glaçante de Celui-Dont-On-Ne-Doit-Pas-Prononcer-Le-Nom. Une trêve. C’était inespéré. Même contre la vie de Harry Potter. Affalé sur l’un des bancs de la Grande Salle aux côtés d’une Shae blessée et inconsciente, aménagée en un gigantesque hôpital, bien qu’elle sembla plutôt être une morgue, Logan parcourait d’un oeil hagard, épuisé, les visages des cadavres qui s’alignaient à la place des tables. Il en reconnaissant tant. Lavande. Fred. Le professeur Lupin. Et à côté, une figure qu’il avait aperçu déjà à la maison : Tonks, qui quelques temps plus tôt, il semblait pourtant que c’était dans une autre vie. Elle venait d’avoir un enfant.
Il eut envie de pleurer, vraiment. Mais rien ne venait. Il n’était que stupeur perdue dans un mélange flou de pleurs étrangers, de murmures et d’un bourdonnement assourdissant qui continuait à lui cingler le crâne depuis le début des combats. A travers cet écran sonore, il entendit finalement :
“
Tu es blessé ?”
Il se tourna vers la silhouette qui se penchait au-dessus de lui. C’était une grande femme, noire, habillée d’un uniforme similaire à celui de Madame Pomfresh, à ceci près qu’il était uniquement noir et blanc, et que la coiffe d’infirmière était remplacée par un fichu noir brodé d’or. Elle se distinguait désormais si nettement qu’elle semblait trop détachée de ce qu’il se passait autour pour être réelle. Il finit par la reconnaître : c’était tout simplement la sorcière qui s’était occupé de guérir Shae.
“-
Tu as du sang sur le visage mon garçon, es-tu blessé ?-
Je ne pense pas.-
Ton esprit l’est, affirma la sorcière d'une voix à la fois ferme et délicate en plongeant son regard perçant dans les prunelles du jeune homme, si bien qu’il eut la désagréable impression qu’elle transperçait son âme.
-
Tiens, bois ça, dit-elle en nettoyant d’un coup de baguette magique les traces de sang qui tachaient son visage, alors qu’un gobelet rempli d’une potion violacée aux reflets incandescents flottait à quelques centimètre de sa tête.
-
C’est de l’alcool ? demanda-t-il sans réaliser vraiment ce qui lui échappait de la bouche.
-
Si seulement, répondit la guérisseuse, qui resta jusqu’à ce qu’il ait terminé de boire la potion.
Le Gryffondor regretta d’avoir bu cette potion régénérante lorsque, en pleine possession de ses moyens, il voyait accourir son père, fou d’inquiétude et de rage.
“
J’ai eu si peur. Si toi aussi tu avais été blessé je n’aurais pas pu me le pardonner.-
Je vais b… Comment ça, toi aussi ?”
Il regretta encore plus d’être en pleine possession de ses moyens lorsqu’il se rendit compte qu’à quelques rangées de là gisait sa mère. Agenouillé à ses côté, il comprenait désormais la vrai rage, car devant lui se trouvait sa mère, victime d’un maléfice des plus horribles qu’il connaisse, car il le connaissait bien : Amycus Carrow le leur avait fait étudier. Devant lui, sa mère était piégée dans son propre corps, torturée continuellement aussi bien par la sensation de tortures infâmes que par des illusions suscitées par ses peurs les plus profondes et ses souvenirs les plus horribles. Ainsi, les yeux écarquillés dans une expression de terreur indicible, les membres tétanisés, l’Auror Cassandra Bishop n’avait d’autre moyen d’extérioriser sa douleur qu’un gargarisme. Et Logan de se rappeler alors des paroles de Carrow, arborant un rictus sadique : “
On dit qu’un seul murmure d’une de ces victimes correspond à un hurlement.”
Là aussi, Logan aurait voulu pleurer. Mais il n’y avait de place pour rien d’autre que la rage. Alternant entre les chevets de sa mère et de Shae, Logan attendait l’instant fatidique où la trêve serait rompue. Lorsqu’il entendit *sa* voix annoncer la mort de Harry Potter, il crut s’effondrer, jusqu’à entendre, bien distinctement, la voix de Neville. Neville.
Le petit garçon grassouillet dont Logan s’était évertué à se moquer pendant une bonne partie de sa scolarité, et qui était devenu le dirigeant de la nouvelle Armée de Dumbledore. Puis à nouveau les sortilèges. Le chaos. Jusqu’à ce duel fatidique, qui semblait mettre une éternité. Puis un dernier sortilège, et Logan se réveilla en sursaut.
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Trempé de sueur, il tremblait de tout son long. Regardant autour de lui, il reconnaissait sa chambre, à Londres, avec ses grandes fenêtres industrielles, son bureau recouvert de codes juridiques divers et variés, sa collection de comics. Tout était là, même les ronflements d'Aristide qui filtraient à travers la porte. Tout allait bien.
Cela ne l’empêcha pas de pleurer silencieusement en pensant à sa mère, qui les avait laissés - son père, ses frères et lui - afin de vivre une vie sans magie, condamnée jusqu’à la fin de sa vie à craindre d’être prisonnière d’elle-même à nouveau ; en pensant à tous ses camarades, qui avaient des projets, un avenir, allongés devant lui, sans vie ; à la cicatrice de Shae, témoin quotidien des blessures de la bataille ; à ses trois putains d’années passées à ressasser la guerre dans une thérapie qui vraisemblablement ne servait à rien.
Cela faisait trois ans que la bataille était terminée, pourtant, chaque jour, il lui semblait être sur le point de s’effondrer de la même façon dont il s’était effondré quand il avait réalisé qu’enfin la Bataille de Poudlard s’était achevée.